Quand on traverse la forêt de Firestone, entre Monrovia, la capitale du
Liberia et Buchanan, à près de 150 km au sud-est, on peut se faire une idée de ce qui constituait la base de l’économie libérienne avant la
guerre, les «diamants du sang» et l'ancien président
Charles Taylor. Dans cet espace, se dresse une vaste étendue d’hévéas. Le caoutchouc est, depuis des décennies, le principal produit d’exportation du pays (51% des exportations, depuis 2003).
Mais la route est tellement mauvaise qu’il faut parfois trois heures pour se rendre jusqu’à Monrovia depuis Buchanan. A l’image de l’économie du pays, la route est actuellement en reconstruction, grâce à un grand plan ministériel et surtout aux investissements chinois.
Les chauffeurs de bus, et autres travailleurs qui empruntent cette route attendent avec impatience la fin des travaux.
«Ce projet va tout changer pour nous, commente une mère de famille qui vit dans l’un des villages du bord de route. Déjà, avec une partie du tronçon fini, on gagne une heure pour se rendre à Monrovia et c’est plus facile d’aller s’approvisionner en nourriture et pour tout ce dont ont besoin les enfants.»
Malgré l’alternance de piste et de bitume, les bus circulent régulièrement sur cette route.
«On a grandement besoin que cet axe soit fini, résume l’un des conducteurs, Buchanan est la troisième ville du pays en terme de population, la deuxième pour l’économie, car, c’est un grand port et la pêche nous nourrit tous.»
Depuis la fin de la guerre civile en 2003, les Nations unies ont levé l’interdiction d’exporter minerais de fer, diamants et bois. L’exploitation des mines de fer a également repris, et le groupe
Arcelor Mittal a ainsi pu effectuer un premier envoi, le 27 septembre 2011. Le groupe a investi 800 millions de dollars dans la remise en état des infrastructures routières et ferroviaires, ainsi que dans la mise à niveau du port de Buchanan, et doit investir deux milliards de dollars notamment pour la construction d’une usine de concentration du minerai.
Des progrès encore peu visibles
Mais pour la majorité des Libériens, cette reprise est encore inodore et incolore. Le chômage atteint officiellement les 15%, mais de nombreuses familles peinent à joindre les deux bouts.
«Par rapport à la situation en 2003, les progrès sont réels, commente Alex Vines, le directeur de la division Afrique du centre britannique Chatham House, le Royal Institute of International Affairs à Londres. La pêche, la sylviculture, et le caoutchouc tire l’économie libérienne et il ne faut pas oublier que ce type de développement post-conflit ne peut qu’être lent; cela prend du temps, beaucoup de temps.»
Le quotidien reste un calvaire dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon les Nations unies, seul un pour cent des Libériens ont accès à une forme moderne de combustible, un des taux le plus bas de la planète. Et le produit national brut du pays reste très bas, autour d’un milliard de dollars (environ 765 millions d’euros), pour une population de quatre millions d’habitants, dont près de la moitié entassée à Monrovia.
Selon le
Fonds monétaire international, le revenu moyen par habitant était de 258 dollars en 2010. La capitale souffre du manque d’électricité et d’eau courante, et l’illettrisme ainsi que le chômage y sont rampants. Le salaire d’un chauffeur dans l’administration est par exemple de 120 dollars (92 euros) par mois. Winston Bestman, 35 ans, chauffeur à la radio nationale explique:
«Il me faut vivre avec 120 dollars par mois avec mes deux enfants et ma sœur, alors que le loyer nous prend déjà 75 dollars par mois.»
Un jeune homme comme Winston est même considéré comme chanceux… Ayant fui la guerre au Ghana, lorsqu’il était enfant, séparé de ses frères partis, eux, en Guinée-Conakry, il a pu revenir et trouver un emploi.
Mais pour Alex Vines, il faut relativiser. Les conflits ont fait 250.000 morts, des milliers de réfugiés et déplacés, sur deux décennies, entraînant la création de la mission de maintien de la paix de l’ONU la plus coûteuse de l’histoire, avec ses 15.000
Casques bleus au plus fort de la crise.
«Compte tenu de tout cela, la croissance du PIB de 6 à 7% est un chiffre plutôt respectable, surtout au sein de la Cédéao», commente-t-il.
Le rêve des investissements étrangers
Le Liberia ne peut que s’attendre à mieux… Les ressources du pays sont énormes. Première République déclarée du continent, doté d’une
histoire unique avec ses descendants d’esclaves américains libres qui ont fondé le pays et sa bannière à une étoile, le Liberia est assis sur une des plus grandes forêts primaires d’
Afrique de l’Ouest et sur de vastes ressources minières, le long d’une large côte maritime. Des atouts certains qui attirent de plus en plus d’investisseurs étrangers.
Si les Etats-Unis restent le premier partenaire diplomatique et commercial, c’est désormais la Chine qui apportent le plus d’
investissements étrangersdans ce pays. Un tournant entamé avec la reconnaissance précoce de la rétrocession de Taiwan à Pékin en 2003. Et la présence de la chinoise se fait chaque jour plus visible: hôtels, écoles, routes. De nombreux projets sont financés par Pékin et mis aux couleurs de la Chine, à l’image de son immense ambassade en forme de pagode traditionnelle sur les bords de l’océan Atlantique…
La présidente actuelle,
Ellen Johnson Sirleaf, réélue en octobre 2011 et lauréate du prix Nobel de la Paix, s’est donné pour but d’attirer plus d’investisseurs étrangers et surtout de les diversifier. Après la Chine, l’Europe semble suivre.
«La Norvège, la Suède, l’Allemagne ainsi que la Grande-Bretagne s’intéressent désormais à l’industrie libérienne, explique Alex Vines de Chatham House. Mme Sirleaf a effectué une importante visite à Londres en 2011 dont a résulté un grand succès: la promesse de la réouverture de l’ambassade britannique, à l’automne 2012.»
Même la compagnie Chevron est de la partie: le numéro deux américain du pétrole a signé un contrat en 2010 pour explorer trois sites pétroliers sous-marins dans les eaux du Liberia. Reste à espérer, pour les Libériens, que ces projets convergent avec une paix durable.
Melissa Chemam
Mélissa Chemam est journaliste indépendante, spécialiste de l'Afrique de l'Est.