Le metteur en scène, dessinateur et réalisateur sud-africain William Kentridge est à Paris cette semaine dans le cadre du Quartier d’Été et présente son spectacle Refuse the Hour du 23 au 27 juillet au Théâtre éphémère du Palais Royal. Œuvre multiforme, théâtrale, musicale, et dansée, elle a été conçue avec le compositeur et chef d’orchestre Philip Miller. La première de ce spectacle avait déjà eu lieu au Festival d’Avignon 2012. Une ode à la liberté et l’indépendance.
Note de la rédaction : ★★★★★
Il y a les horloges, les métronomes, les cartes et leurs fuseaux horaires, et puis il y a les voix et les corps, la musique, autant de représentations du temps qui passe, qui file, obsession de ce spectacle hors classe.
Sur scène, une huitaine de musiciens sont installés côté jardin, mais c’est d’une batterie suspendue au plafond que viennent les premiers tic tac d’horloge et le début de l’odyssée de Kentridge et Miller. William Kentridge entre alors sur scène, un cahier à la main. Il sera notre maître de cérémonie, notre conteur, notre éclaireur dans cette ballade contre le temps.
Il commence par raconter une histoire, et une histoire dans l’histoire, celle de ‘celui qui essayait de fuir son destin’. Enfant, son père le conduit dans un voyage en train de Johannesburg, la ville natale de Kentridge en Afrique du Sud, à Port-Elizabeth, sur la côte.
Et lors de ce voyage il narra l’histoire du roi d’Argos, Acrisios, à qui il fut prédit par un oracle qu’il serait assassiné par son petit-fils. Tentant de déjouer le destin, Acrisios enferma sa fille unique Danaé dans une tour mais elle fut séduite par Zeus infiltré en pluie d’or et donna naissance à Persée… Comme dans d’autres mythes grecs, en voulant sauver sa vie et changer son destin, Acrisios n’a fait que le précipiter, ce qui mettait le petit William hors de lui… ‘Every décision was the wrong decision’. Et si l’on pouvait revenir en arrière ? pensait-il dans ce train. Et remonter le temps pour refaire l’histoire…
Ainsi se lance ce spectacle en anglais surtitré, livrant ses réflexions à une première chorégraphie lumineuse, une danse de métronomes à laquelle les images projetées de films de Kentridge se mêlent aux danseurs et à la musique. La musique, incarnation par excellence de la coulée et la division du temps, luttent avec les images et métaphores centrales de cette pièce, autour de ‘la négation du temps’.
Chapitre par chapitre, le récit de Kentridge nous mène vers une nouvelle réflexion contre le temps, illustrée soit par la danse soit par le chant. On s’interroge sur les valeurs de la vitesse de la lumière, en chantant à l’envers, à rebours, les paroles du ‘Spectre de la Rose’ de Berlioz, et sur l’entropie en déplaçant avec la voix l’ordre des mots et replaçant les corps des danseurs, comme à la place. De même, ses films projetés sur le fond de la scène, mêlant dessins animés et personnages en noir et blanc incarnés par le mêmes artistes présents sur scène, s’appliquent à se jouer du temps en défilant en arrière. Car l’image photographique, la base du cinéma, a le pouvoir de figer l’instant, rappelle le conteur Kentridge.
Et pourquoi cet acharnement à refuser le temps ? En grande partie, par fuite de l’inéluctable fin, mais aussi parce que notre temps moderne ne veut rien dire, loin des temps mythiques éternels, la ligne droite qui file vers la mort dans laquelle nous vivons a été imposée sur toute la planète depuis le méridien de Greenwich, le cœur de l’empire britannique, à toutes ses colonies. Au lieu de régler l’heure sur le soleil, tous les fuseaux horaires ont été contraints d’accorder leurs horloges sur celles de l’Europe, comme si les minutes, les secondes n’existaient plus qu’au moment où sonne leur passage dans une machine moderne à compter le temps. Le temps est devenu géographie, et avec, politique. ‘Give us back our sun’, chantent alors les cantatrices du spectacle, rendez-nous notre soleil, notre temps naturel, notre liberté…
Le questionnement de Kentridge le mène ainsi inexorablement vers l’inévitable entropie et la fin de la course folle de la vitesse de la lumière, destinée à mourir engloutie dans un trou noir. Mais finalement, ne serait-ce pas aussi une libération ?
La danse et la vidéo apportent une joie évidente à ce spectacle gravitant pourtant autour du thème pesant de l’irréversibilité du temps. On est emporté par sa poésie autant qu’on sourit à la délicatesse des clins d’œil du narrateur et qu’on est séduit par la grâce des musiciens et de la danseuse et chorégraphe Dada Masilo, au cœur de la collaboration, avec Philip Meyer, qui a permis à Kentridge de faire exister son spectacle sous cette forme inédite.
A défaut de nier le temps, Kentridge le remplit, lui donne une signification et une densité hors du commun. Serait-il un peu magicien ?
Il vous reste deux soirs pour en profiter !
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Théâtre éphémère du Palais Royal, Place Colette, 75001 Paris, durée du spectacle : 1h20