Mon article pour www.toutelaculture.com :
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« PARCE QU’ILS SONT ARMÉNIENS »
DE PINAR SELEK :
UNE VOIX TURQUE AU CHEVET DES
MINORITÉS DU PAYS
28 février 2015 Par
Essai rare et donc notable, ce bref livre mêle témoignages très personnels, récits de tabous et réflexions engagées sur la question de la non reconnaissance du génocide arménien par les autorités d’Ankara mais aussi sur l’oppression contre toutes les minorités et les voix pro-démocratiques, problématiques qui se sont désormais rencontrées pour s’allier en Turquie.
Note de la rédaction :
« Témoigner est une responsabilité », écrit Pinar Selek dans l’avant-propos de livre, « témoigner avec les mots du cœur, en étant maître de sa parole ». Elle cite un conte qu’elle a écrit quelques années plus tôt, qui se conclut sur cet adage : « les mots qui sortent de la bouche entre par une oreille et sortent par l’autre. Mais les mots du cœur vont droit au cœur ».
Fille de militants de gauche turcs, devenue elle-même sociologue et militante pour les droits de ses concitoyens, qu’ils soient turcs, kurdes, hommes ou femmes, ou arméniens, Pinar Selek est une grande dame de la vie civique et intellectuelle d’Istanbul. Menacée par un procès fleuve qui la voit accusée injustement en 1998 d’avoir participé à un pseudo attentat terroriste kurde, elle est emprisonnée puis doit quitter le pays. Malgré trois acquittements, ce procès est toujours en cours et Pinar est désormais réfugiée politique en France, après avoir passée deux ans en Allemagne en 2010-12. Elle y poursuit ses recherches sur l’espace militant turc et les mouvements arméniens de la diaspora à l’ENS Lyon et ses travaux portent sur les minorités opprimées par la République turque.
Parce qu’ils sont arméniens est un essai dense, incisif, profondément touchant, imprégné des souvenirs de Pinar Selek, de son enfance dans une école qui n’hésite pas à recourir à la propagande pour masquer les crimes du passé et accusés les minorités chrétiennes de vouloir nuit à la nation, à ses jeunes années de militantisme, pendant lesquels elle rencontre enfin les premiers Arméniens révoltés qu’elle cherchait malgré les discours officiels et la peur ambiantes. Elle, dont le père a longtemps été emprisonné pour des raisons politiques, découvre le passé de sa voisine, Mme Talin, survivante du génocide qui lui fait découvrir l’expression « rebuts de l’épée », ces minorités témoignant des atrocités et crimes non reconnus dont la présence dérange encore les autorités.
Elle fait la connaissance du militant, lui aussi rescapé de 1915, Nisan Amca puis du journaliste Hrant Dink, premiers activistes à refuser de se terrer dans le silence. Mais Hrant est assassiné le 19 janvier 2007.
« Je travaille sur la questions des rapports de domination d’où ma réflexion sur les opprimés en Turquie, et je suis féministe, antimilitariste, antinationaliste », explique-t-elle, « et je constate de grands progrès contre la propagande par rapport aux années 1980 où mon père était emprisonné, mais aussi depuis mon départ. L’espace militant s’est transformé et les manifestations de Taksim ne sont pas tombées du ciel ; les années 2000 ont constitué un tournant pour les revendications sociales ainsi que les demandes de reconnaissance du génocide. Les Turcs ont pris conscience que ces revendications devaient être entendues ».
Un nouveau mouvement arménien a ainsi émergé après 2007, qui donne de l’espoir à l’intellectuelle, autour de la revue Agos mais aussi de nouveaux mouvements politiques, « et il est possible désormais de parler du génocide ».
Cet essai déchirant s’achève ainsi sur une note d’espoir. « Que devient-on lorsqu’on oublie? On s’habitue au mal », prévenait Pinar Selek dans le chapitre 3. « Travailler sur les questions kurde et arménienne m’a fait comprendre que je franchissais une ligne rouge », conclut elle dans le 16e. « Mais j’aime les lignes rouges. Elle te montrent que tu es sur le bon chemin ».
Pinar Selek, Parce qu’ils sont arméniens, Editions Liana Lévi, 96 p;, 10 euros. Sortie le 5 février 2014.
visuel : couverture du livre
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