En dehors de la zone de confort, Melissa Chemam
Par Line Papin
le Vendredi 18 Novembre 2016
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INTERVIEW
INTERVIEW
Line Papin: Votre livre "En dehors de la zone de confort" paru en octobre 2016 aux éditions Anne Carrière, retrace l'histoire d'un groupe d'artistes et de leur ville, Bristol, de 1965 à aujourd'hui. Comment vous est venue l'envie d'écrire dessus ?
Melissa Chemam : J'admire depuis longtemps l'engagement du groupe Massive Attack, et j'écoute énormément leur musique, très régulièrement. Je savais qu'il y a toujours eu autour d'eux toute une scène très riche, de Tricky à Portishead, et également Banksy, car le street artist a été inspiré par l'un des membres de Massive Attack, 3D, également artiste.
Puis, en août 2014, Massive Attack est passé en concert au Liban au moment où je travaillais pour France Culture et couvrais des événements au Proche-Orient depuis Paris : les manifestations contre les violences à Gaza, les élections en Turquie ouvertes pour la premiere fois aux Turcs de l'étranger, etc. Comme je travaille surtout sur la politique internationale mais aussi sur l'art, la musique et la littérature, j'ai pensé qu'écrire sur un groupe si imprégné par l'actualité serait une excellente façon de faire évoluer mon rapport au journalisme. Un groupe à la fois musical et artistique de plus, et dont les origines et la ville de naissance disent beaucoup de leur évolution. Bristol est une ville multiculturelle, qui a une histoire compliquée, liée à la conquête de l'Amérique, la traite d'esclave, puis de nombreuses émeutes et manifestations pour la défense des droits des minorités ou des travailleurs.
Cela présentait un merveilleux terrain d'écriture, mêlant reportage sur place et réflexions historiques et artistiques. J'ai parlé de mon idée à mon ami Bertrand Dicale, grand journaliste musique, qui m'a mis en relation avec les Editions Anne Carrière. Et le projet s'est concrétisé lorsque 3D a accepté de me rencontrer.
L.P. : Est-ce un mouvement, une culture, une ville, une histoire qui vous paraissent trop peu connus du grand public ?
M.C. : J'utilise le mot révolution souvent dans le livre parce que oui, un mouvement culturel est né dans cette ville et a changé la façon de produire de la musique. Massive Attack est le groupe le plus connu de la ville, mais il a été nourri par de nombreuses influences à Bristol pendant les 10 années qui ont précédé la sortie de leur incroyable premier album, Blue Lines, en 1991. Notamment la passion des jeunes de cette ville pour le reggae et pour la musique punk, deux styles imprégnés de références politiques. Le Pop Group et les Cortinas enflamment alors les foules à Bristol. Le groupe de reggae Black Roots est également pionniers.
Nous sommes alors en 1980, au début des années Thatcher, et quelques DJs mélangent tous ces genres dans des bars et caves de Bristol, accompagnant leur soirée de performance de breakdance et de superbes graffiti.
L'histoire et le contexte était peu connu en France, et aucun livre sérieux n'avait été écrit sur le sujet, même en Grande-Bretagne. Depuis, Massive Attack a atteint le sommet des charts, entrepris plusieurs tournées mondiales, pris la défense des réfugiés, et révolutionné son propre son à chaque album. Mais parce que ses membres restent très discrets et peu prompts à parler aux médias, beaucoup d'éléments de leur riche créativité restaient selon moi mal connus. Il était temps de leur accorder un espace pour s'exprimer! C'est pour cela que j'ai rencontré une trentaines d'artistes de la ville.
L.P. : Parleriez vous de Bristol Sound et de Bristol Urban Culture ?
M.C. : Oui, tout à fait. Le Bristol Sound ou slow tempo ou trip hop mêle samples et rythmes hip-hop, mais ralentis. Il a une touche mélancolique très présente dans des titres comme 'Unfinished Sympathy' et 'Protection' de Massive Attack et sur le premier album de Portishead, Dummy, sortir fin 1994. Quand au street art, il a vraiment explosé à Bristol à partir de 1984, en même temps qu'à Birmingham et Londres, provoquant un enthousiasme très fort chez les jeunes, dont nombreux chômeurs à cette époque. Et 3D, le rappeur, parolier et musicien éclectique de Massive Attack a été le premier grand street artiste de la ville. Une exposition de Graffiti a été organisé à Bristol en 1985 autour de lui, et des artistes sont venus de New York, Londres et Birmingham pour y participer. C'est probablement là que Banksy a découvert sa vocation!
L.P. : Auriez vous l'envie d'écrire ou d'organiser autre chose autour de Bristol et de ces mouvements artistiques et musicaux ?
M.C. : J'organise déjà une série de rencontres à Paris dont la première le 26 novembre avec le disquaire-café Walrus, en partenariat avec la librairie Nordest. Ensuite d'autres rencontres auront lieu avec des galeries d'art urbain. Je veux aussi parler du livre dans les lycées, avec des enseignants d'histoire et d'anglais.
Et je travaille à la traduction du livre en anglais en ce moment. Ce sera l'occasion de créer l'événement sur place à Bristol!
L.P. : Ou bien de vous pencher sur une autre ville, puisque vous avez aussi beaucoup voyagé ?
M.C. : Je viens de passer une semaine à Belfast notamment pour explorer sa scène artistique. De même, j'aimerais retourner en Afrique, en Afrique de l'Ouest cette fois, sûrement, pour parler des liens entre art et politique. Ou peut-être au Liban. Les voyages sont toujours pour moi une grande source d'inspiration. J'aspire à une forme différente de journalisme, plus lente, plus créative, et plus subjective.
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