Un petit mot sur mon musicien kinois préféré, Jupiter, et sur mon génie préféré...
J'ai donné une interview à Bastien Stisi pour parler de la pochette de Kin Sonic, album du premier, dont l'oeuvre a été réalisé par le second. Entretien publié sur le site Néoprisme.
Plus de détails :
Jupiter & Okwess x Robert « 3D » Del Naja – Kin Sonic
C’est en 2007 que le bristolien Robert Del Naja, que l’on identifie largement mieux sous le pseudonyme de 3D – éminemment membre de Massive Attack, et plasticien / graffeur / graphiste responsable de la plupart des artworks du groupe – rencontre pour la première fois le Congolais Jupiter Bonkodji (qui a toutefois passé une partie de sa jeunesse à Berlin-Est, aux côtés d’un père diplomate), dont le travail avait été mis en lumière quelques mois plus tôt par le documentaire Jupiter’s Dance, focalisé sur la remuante nouvelle scène musicale de Kinshasa, dont il est l’une des figures les plus emblématiques.
Del Naja accompagne alors son ami Damon Albarn, venu jouer à Kinshasa pour les besoins de son projet Africa Express, passionnante rencontre entre les cultures occidentales modernes et les cultures d’Afrique subsaharienne. Plus tard, en 2013, il remixera son titre « Congo », émanant de l’album Hotel Univers (le premier album de Jupiter & Okwess) brûlot politique dans lequel Jupiter, selon les mots de Mélissa Chemam, journaliste et auteur du très pointilleux En dehors de la zone de confort (Anne Carrière, 2016) « défend ardemment la culture de son pays, son besoin de démocratisation, de respect des traditions tout en revendiquant le droit à la modernité ».
Alors, au moment de mettre sur pied ce second album, Jupiter repense à 3D – qu’un tourbillon médiatique, finalement bien vain, a voulu récemment fusionner avec la personne de Banksy -. Le camarade Damon Albarn, entre la parution d’un album solo, le come-back de Blur, et la finalisation du grand retour de Gorillaz, avait de son côté déjà eut le temps de poser quelques claviers, sur le morceau « Musonsu ». 3D, lui, ne donnera pas quelques élans inspirés au clavier, mais ce tableau, initialement nommé Double Heart (car effectivement, le personnage possède deux coeurs), qu’il avait peint quelques années auparavant, une oeuvre qui représentait alors un homme à la peau noire et aux yeux dessinés comme un masque émanant d’une ethnie subsaharienne tribale, et dominé par les vols de quatre avions manifestement lancés, dans les airs, à vitesse conséquente.
L’homme noir (figure récurrente chez l’artiste de Bristol, ancien très grand port négrier, jusqu’à l’abolition de l’esclave en Grande-Bretagne en 1807), les avions (empruntés à Basquiat, l’une des influences revendiquées de 3D), le visage désespéré (les sourires sont rares dans le monde visuel de 3D, au moins autant que dans la musique de Massive Attack…) : ce sont les icônes traditionnelles de l’artiste britannique que l’on retrouve ici, et une réalisation quasi prophétique que l’on aurait pu croire directement destiné à celui qui a finalement eu la chance de le récupérer à son profit. Mélissa Chemam, spécialiste, et cela tombe bien, autant de la géopolitique de l’Afrique contemporaine que de la scène artistique de Bristol :
« Ce tableau, 3D l’a peint en 2014. Je l’avais vu exposé à Londres en mars 2016, galerie Lazarides, notamment aux côtés d’un détournement de Mickey Mousse, en rouge et noir. De manière évidente, c’est la première fois qu’il utilise une référence africaine aussi visible, même si pour illustrer le dernier album de Massive Attack, Heligoland, 3D avait utilisé cette peinture avec un homme noir et arc-en-ciel gris au-dessus de sa tête, un travail inspiré des Blackface américaines, des pièces de théâtre racistes où l’on singeait l’apparence des Noirs dans les années 1900…Forcément, ce sont des thèmes qui parlaient beaucoup à Jupiter. »
Le son
Avec Damon Albarn, Warren Ellis, et donc 3D, Jupiter Bonkodji, et ses Okwess, poursuit la mission qui est la sienne depuis plus de 30 ans : se faire à la fois le garant de la culture congolaise et de sa diversité – qui ne se résume pas à l’unique rumba – et parvenir à y intégrer le souffle de modernité qui permet aux idées de dialoguer. Politique et philanthrope, de nouveau, l’album d’une idée aussi simple à formuler que complexe à maintenir en éveil : celle de l’espoir de lendemains plus grands.
Jupiter & Okwess, Kin Sonic, 2017, Zamora Label, 41 min., pochette par Robert « 3D » Del Naja
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