23/08/2020

Brexit et double nationalité : Reportage


My last piece of reporting, in French for the German radio DW about the British exit from the EU and the rise of demands for dual citizenship (link to audio below):


DW - Brexit et double nationalité 




 Au Royaume-Uni, en plus d’une gestion désordonnée du Covid-19, la pire crise économique depuis les années 1970 a commencé. Les habitants ont peu de ressources et de plus en plus de personnes diplômées envisagent de s’expatrier… D’autant plus que le phénomène est aggravé par les conséquences du Brexit. Cela pousse des dizaines de milliers de Britanniques à demander une autre nationalité, le plus souvent irlandaise, car il suffit d’avoir un grand-parent originaire de l’île pour avoir droit au passeport. Mais les citoyens européens cherchent aussi à obtenir la nationalité britannique pour s’assurer de poursuivre une vie normale en Grande-Bretagne. Une course aux doubles nationalités qui entraînent aussi de nouveaux mouvements de migration… 
Reportage de Mélissa Chemam en Angleterre. 


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Damien McManus est bibliothécaire. Il vient de Birmingham, a vécu en France, sa sœur vit en Allemagne et leurs parents sont irlandais. Il s’est donc toujours senti Européen. Nous nous retrouvons dans un café très europhile, dans une galerie d’art internationale… Selon lui, le Brexit est une punition que les Britanniques s’infligent à eux-mêmes… Et il était important pour lui de conserver un lien avec l’UE. Sa première réaction après le référendum a donc été la double nationalité…

Damien McManus : « J’ai immédiatement contacté l’ambassade irlandaise, oui, et demander un formulaire pour avoir un passeport irlandais. Mes deux parents sont irlandais, mon père est décédé alors j’ai dû apporté les documents de ma mère : certificat de naissance, de mariage, ainsi que mon certificat de naissance, un relevé de compte bancaire, une preuve d’adresse, 80 euros, et j’ai envoyé ce dossier par la poste. Deux jours avant que le Royaume-Uni ne quitte l’UE, je recevais mon passeport par courrier. C’était rassurant de savoir que j’avais une nationalité qui me permet de faire partie de l’Union européenne… Et je l’ai fait aussi pour passer ma nationalité à mes enfants. Il faut pour cela que je leur obtienne un passeport avant qu’ils aient eux-mêmes des enfants. Mais c’est aussi une question de solidarité, pour moi c’est évident… » 

D’autres, s’inquiètent surtout de la crise économique infligée par le Brexit et renforcée par la pandémie actuelle… Ils envisagent de s’installer dans un pays européen malgré le Brexit, pour s’assurer un meilleur avenir professionnel. Les procédures côté UE sont en effet bien plus accueillantes… 

Les départs ont déjà augmenté de 30% depuis 2016, passant de 56 000 par an à 74 000. Certains parlent de “brain drain”, véritable fuite des cerveaux. 

Pour Helen Oxenham, physiothérapeute britannique mariée à un Français, prendre la nationalité française était donc vital ; leurs deux filles sont sûres de devenir bi-nationales. Elles souhaite aussi pouvoir envisager un avenir en Europe si besoin. 

Helen Oxenham : « Le Brexit m’a poussé à le faire ? Je me suis rendue compte que si je voulais vivre dans un autre pays européen comme la Suède par exemple je ne pourrai plus. J’ai vécu en France pendant plusieurs années, en Martinique pendant 9 mois et à Aix-en-Provence pendant 2 ans, donc je parle français. Mais ce qui m’a vraiment décidé c’est de ne plus avoir le choix de vivre dans l’UE. Car financièrement je n’avais pas assez d’argent avant pour payer pour le passeport, donc jusque là cela m’avait retenue. J’ai fait les démarches petit à petit ? J’ai dû aller à Londres passer un test de langue, payer pour cela, et attendre car cela prend deux ans pour avoir confirmation ; et j’ai eu la réponse positive en septembre 2018. Le temps commençait à manquer… Ensuite il m’a fallu faire traduire mon certificat de naissance, payer pour cela, et rassembler d’autres papiers ; tout cela coûte aussi. Mais avec le Brexit qui arrivait fin janvier, je voulais régler cela avant. « 

Pour les Européens souhaitant rester au Royaume-Uni, la situation est souvent pire. S’ils vivent dans le pays depuis plus de 5 ans, ils peuvent demander leur « settled status », pour avoir le droit de rester, mais les conditions sont précaires. 

Joanna Booth est Grecque et Australienne ; elle vit en Angleterre depuis 24 ans ; son mari et ses enfants sont Britanniques mais elle n’a pas l’intention de prendre une 3e nationalité. Surtout que le coup est très élevé : au moins 2000 livres, plus si frais d’avocat... Cependant elle pense que le statut post-Brexit pour les Européens n’offre aucune stabilité et trouve que l’ambiance a déjà changé négativement…

Joanna Booth : « Je n’ai pas de raison de devenir britannique et je ne le ferai pas. Mais j’ai dû demandé le ‘settled status’ et je l’ai eu finalement, après deux mois. J’ai dû envoyer ma carte d’identité, les informations sur mes impôts, etc. Mais le plus ennuyeux ce sont les attitudes des gens qui ont changé, dès le lendemain du Brexit. Par exemple, des gens me regardent de travers quand je parle grec à mes enfants en public. J’ai donc arrêté de le faire pendant un temps mais quand j’ai repris les gens n’arrêtaient pas de me demander ‘d’où êtes-vous ?’ ou ‘d’où vient cette langue ?’ Et c’est vraiment ennuyeux. »

Par sécurité, sa famille envisage-t-elle de prendre sa nationalité grecque ?

Joanna Booth : « Je ne sais pas si l’on sait vraiment quelles vont être toutes les conséquences du Brexit. S’il nous faut le faire, nous le ferons. Car le Brexit m’a vraiment beaucoup stressée et j’étais prête à partir si je n’avais pas le statut. Cependant j’ai rencontré beaucoup d’Européens, des Lithuaniens, des Français, qui ne voyaient pas le danger. J’ai rencontré un Italien qui vivait ici depuis moins de 5 ans et qui ne s’inquiétait pas. Ils ne voulaient pas croire qu’on leur demanderait de partir… Mais moi je m’y suis préparée parce que même avec ce statut plus personne n’a de sécurité quant à un avenir ici. Beaucoup d’Européens qui vivent ici sont une nouvelle génération d’immigrants, ce ne sont pas de travailleurs agricoles comme mes parents, ou des balayeurs comme mon grand-père, ou des travailleurs à l’usine ; ils ont des diplômes, parfois des thèses et enseignent à l’université. Ils pensent avoir une stabilité et sécurité dans ce pays. Mais depuis le Brexit, il n’ya plus de stabilité. Mais ces travailleurs pourraient être exclus. »   

L’un des inconvénients de ce statut est qu’il ne permet plus aux Européens de passer du temps en Europe et de rentrer en GB. Pour Christophe Fricker, traducteur allemand travaillant entre plusieurs pays, il était donc urgent de devenir britannique. 

Christophe Fricker : « Ma décision a été provoquée par le Brexit, oui. Absolument. Avant je n’y pensais même pas parce qu’en tant que citoyens européens, nous avions tous les droits nécessaires. Nous n’avions pas besoin de dépenser ces sommes énormes pour avoir une autre nationalité. Mais le ‘settled status’ est une nouvelle catégorie d’immigration introduite sans raison réelle et c’est un ghetto administratif qui enferme 3 millions d’Européens vivant ici! Ils seront ensuite à la merci des gouvernements suivants pour connaître leurs droits. Je ne voulais pas être coincé ainsi et je n’aime pas la façon dont ce statut a été mis pensé. »  

Plus de 3 millions d’Européens ont déjà demandé ou obtenu ce statut mais l’avenir étant chaque mois plus incertains, des centaines de milliers d’autres pourraient se retrouver obligés de quitter le pays, s’ils ne sont pas éligibles à la précieuse double nationalité. 

Mélissa Chemam en Angleterre pour la DW. 


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