25/08/2024

Libération de Paris : Sur les soldats coloniaux écartés puis oubliés

 

  - EN FRANÇAIS - 


Ce week-end, Paris célèbre les 80 ans de la "Libération de Paris", les 24 et 25 août 1944, par les troupes débarquées en Normandie le 6 juin 1944 (connu comme le 'D Day') puis en Provence le 15 août.

De ces batailles, l'histoire retient les interventions héroïques des soldats américains, entrés en guerre assez tard... Et de quelques soldats britanniques.

La France retrouve également son statut d'allié grâce à ces batailles, puis de vainqueur, ce qui lui permet d'obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies en 1945.

La réalité est bien sûr plus complexe.

Voici une partie moins connue de l'histoire, celle des soldats des colonies françaises de l'époque.

Les nations africaines n'existaient pas en tant qu'États indépendants au moment de la création de l'ONU. Elles sont encore très peu représentées au sein de leurs institutions.

C'est pourquoi l'histoire compte...

J'ai écrit un article sur la Libération de Paris pour RFI. En voici une version légèrement différente.


Libération de Paris : comment les forces françaises ont été 'blanchies' l'été 1944


La Libération de Paris a eu lieu il y a 80 ans, quelques semaines après le débarquement en Provence, les 24 et 25 août 1944, alors que les nazis avaient comploté pour détruire la capitale française après un soulèvement. 

La France célèbre aujourd'hui les soldats qui se sont battus courageusement pour ces deux jours d'événements, mais certains ont longtemps été oubliés : les combattants des colonies, exclus des célébrations du 26 août 1944, puis de la plupart des batailles du reste de l'année 1944.

La Libération de Paris ne semblait pas être une priorité pour les forces alliées jusqu'au 19 août 1944, lorsqu'un soulèvement a éclaté contre les Allemands dans la capitale française, mené par des membres du mouvement de résistance.

L'écrasement de l'insurrection et la destruction de la ville sont alors ordonnés par le commandant allemand de Paris, le lieutenant-général Choltitz, comme les Allemands l'ont fait à Varsovie.

C’est pour éviter ce désastre que le général Charles de Gaulle insista pour intervenir.

La 2e division blindée française fut envoyée vers Paris et entra dans la capitale le soir du 24 août.

Le 26 août, un immense défilé triomphal eut lieu sur les Champs-Élysées.


Soldats coloniaux


L’armée française était constituée pour plus de la moitié de soldats coloniaux, mais pour les dernières étapes de la libération et les célébrations, ces combattants furent exclus.

« Lorsque la résistance entra triomphalement en France », écrivit l’écrivain américain Ken Chen dans The Nation plus tôt cette année, « l’Armée française libre retint ses soldats noirs africains afin que la libération officielle de Paris apparaisse comme étant accomplie uniquement par des Blancs. »

L'armée française de 1944, commandée par le général Jean de Lattre de Tassigny, comprenait en effet 84 000 colons blancs français basés en Algérie, 12 000 soldats français libres et 12 000 Corses, mais aussi 130 000 soldats dits « musulmans » d'Algérie et du Maroc, et 12 000 membres de l'armée coloniale.

Elle comprenait également des tireurs d'élite venus du Sénégal et des fantassins des possessions françaises du Pacifique et des Antilles.

Le débarquement en Provence avait été un succès, mais le voyage des troupes vers Paris fut marqué par le retrait des combattants africains des rangs de la Première Armée, remplacés par des résistants des Forces françaises de l'intérieur (FFI).

En 1944, les Africains de l'Ouest et les autres conscrits coloniaux constituaient la grande majorité des Forces françaises libres.

Les tirailleurs dit 'sénégalais' avaient été recrutés dans les colonies françaises, dans toute l'Afrique occidentale et centrale, certains volontairement, d’autres par contrainte, un aspect « difficile à mesurer » car, dans les registres, tous les soldats étaient décrits comme volontaires », selon l’historien Anthony Guyon, auteur d’un ouvrage sur les combattants africains dans l’armée française (Tirailleurs sénégalais. De l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours, 2022).

La proportion de soldats africains alors dits « indigènes » dans ces unités était supérieure à la moitié des effectifs, et la mobilisation se concentrait principalement sur l’Afrique du Nord, avec notamment un regroupement de troupes françaises d’Afrique du Nord.

Les combattants noirs furent alors progressivement exclus de certaines opérations militaires, et d’autres exclus des célébrations de la libération.

Beaucoup d’entre eux durent rendre leurs uniformes et furent renvoyés chez eux, souvent dans des conditions brutales, avec peu ou pas de moyens.

Certaines pensions furent gelées jusqu’en 1959.


Racisme


Parmi les soldats noirs arrivés en Provence se trouvait le psychiatre Frantz Fanon, auteur anti-colonialiste, qui s’est engagé dans l’armée à seulement 17 ans, après avoir quitté sa Martinique natale pour lutter contre le fascisme en Europe.

Il raconte comment il a été constamment confronté au racisme au sein de l’armée française et dans la vie civile dans son livre pionnier Peau noire, masques blancs, publié en France en 1952.

Fanon et les historiens de l’époque ont décrit ce qu’ils ont appelé une opération de « blanchiment des Forces françaises libres » : la plupart des « gens des colonies » ont été laissés dans le sud, tandis que les soldats « blancs » se sont dirigés vers Paris.

Après la Libération de Paris, à partir de fin novembre 1944, environ 1300 anciens combattants sénégalais ont commencé à protester contre leur mauvais traitement et leur manque de solde.

Des dizaines d'entre eux ont été massacrés par les troupes françaises, et certains des survivants ont ensuite été emprisonnés pendant 10 ans.

Le 1er décembre 1944, des dizaines de soldats africains du camp militaire de Thiaroye près de la capitale sénégalaise Dakar ont même été fusillés pour avoir protesté.


Une alliance « blanche »


Des éléments montrent que le désengagement de certains tirailleurs africains avait été envisagé avant même le débarquement en Provence.

Le général Magnan a d'abord demandé à ses supérieurs que les soldats du 6e régiment de tirailleurs africains soient relevés le 22 mai. Il a d'abord demandé en vain, mais l'idée a rapidement prévalu, selon l'historienne française Claire Miot, auteur de La Première armée française, de la Provence à l'Allemagne - 1944-1945 (2021).

En 2009, la BBC a également découvert des documents révélant le rôle joué par les États-Unis et le Royaume-Uni dans le retrait de ces soldats coloniaux noirs de l’unité qui a conduit les Alliés à reprendre Paris.

« Le commandement allié a insisté pour que tous les soldats noirs soient retirés et remplacés par des soldats blancs d’autres unités », a rapporté Mike Thompson de la BBC. « Lorsqu’il est devenu évident qu’il n’y avait pas assez de soldats blancs pour combler les lacunes, des soldats venus de certaines régions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont été utilisés à la place. »

Le haut commandement allié avait même accepté le plan de De Gaulle à condition que la division qui se rendrait à Paris ne contienne aucun soldat noir.

Le chef d’état-major d’Eisenhower, le général de division Walter Bedell Smith, a écrit dans une note confidentielle : « Il est plus souhaitable que la division mentionnée ci-dessus soit composée de personnel blanc. Cela indiquerait que la deuxième division blindée, qui avec seulement un quart de personnel autochtone, est la seule division française opérationnellement disponible qui pourrait être composée à 100 % de personnel blanc. »

Le général britannique Frederick Morgan a également écrit : « Il est regrettable que la seule formation française à 100 % blanche soit une division blindée au Maroc. Une division française sur deux n’est composée que de 40 % de blancs. » Il a demandé aux Français de « produire une division d’infanterie blanche ».

Il a fallu des décennies aux autorités françaises pour souligner le rôle crucial des soldats non blancs dans les combats, les dirigeants politiques d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne n’ayant été invités pour la première fois à commémorer le débarquement qu’un demi-siècle après la guerre. 



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