Sospel, février 2017. Photo : Mélissa Chemam
Je ne peux que partager cette tribune publiée en août par l'association Citoyens Solidaires 06 :
A quel moment le Monde a-t-il perdu son Humanité?
Ce soir chez Citoyens Solidaires 06, on en a gros sur la patate.
Alors une fois n’est pas coutume, nous allons un peu parler de ce qui se passe tout à côté de chez nous, mais en même temps loin de nous : ce qui se passe en Mer Méditerranée.
Voici des mois que nous essayons aux côtés de milliers d’associations d’ONG, de citoyen.ne.s de toutes nationalités et tous horizons, de tenter de faire comprendre à nos concitoyen.ne.s qu’il n’y a pas de crise migratoire, mais une crise de l’accueil. Que d’accueillir ne signifie pas souffrir. Que nos situations personnelles ne se trouveraient pas affectées si l’Etat français acceptait enfin d’être digne de notre devise (rappel pour les nul.le.s : « Liberté, Egalité, Fraternité », vous savez, les 3 mots écrits sur les frontons des mairies, palais de justice, écoles…)
Des mois que nous crions pour que les droits des exilé.e.s soient respectés, pour qu’ils.elles puissent accéder à leurs droits dans les Alpes-Maritimes, mais aussi en France, dans l’Union Européenne, et plus globalement encore dans le Monde.
Mais voilà, l’actualité de ces derniers jours pourrait presque nous décourager, même si nous n’en ferons rien, car ce n’est pas de nous qu’il s’agit, mais de femmes, d’enfants et d’hommes qui n’ont pas demandé à être traité.e.s comme des moins que rien par nos autorités.
Mais en réalité, il y a bien pire que Génération Identitaire pour empêcher les sauvetages. Il y a les Etats concernés, de près, ou de loin. L’Union Européenne et ses accords avec la Libye, l’Italie, en accord avec l’UE et sa « charte de bonne conduite des ONG » (laissant la population croire que lesdites ONG s’enrichiraient en faisant affaire avec les passeurs), la Libye elle-même avec son interdiction faite aux ONG de secourir les embarcations en péril au sein desses eaux territoriales (faisant croire que ses garde-côtes vont se charger des sauvetages). Toutes ces décisions qui ne prennent pas en compte les êtres humains dont elle décide du sort, et qui, dans le même temps, génèrent du racisme au sein des populations et ainsi le rejet de ces êtres humains.
Alors nous, à Citoyens Solidaires 06, on se demande à quel moment le Monde a-t-il perdu son Humanité. A quel moment des êtres humains ont vrillé au point de parler de certain.e.s de leurs semblables comme s’ils.elles ne l’étaient pas? Commes s’ils.elles n’étaient que des chiffres? A quel moment « les politiques migratoires » sont devenues plus importantes que des vies humaines? A quel moment des hommes, des femmes et des enfants ne sont devenu.e.s que des « migrants », des chiffres, des flux? A quel moment défendre son propre bout de pain est-il devenu plus important que de préserver la vie d’êtres humains en détresse? Où sont passées nos valeurs de fraternité et de partage?
Qu’ils.elles fuient leur pays pour cause de guerre ou de misère et de famine, nous rappelons que cela n’est pas chose aisée. Il est par contre très facile de dire « oh, moi à leur place, je prendrais les armes pour combattre et défendre mon pays » ou encore « moi, je me battrais pour gagner de l’argent et nourrir ma famille, mais je ne quitterais jamais mon pays« . Comment pouvons-nous savoir ce que nous ferions si nous étions à leur place? Nous n’y sommes pas justement. Et nous sommes privilégié.e.s parce que bien né.e.s, né.e.s du bon côté de la Mer Méditerranée. Alors de quel droit pouvons-nous juger ces hommes et ces femmes d’avoir fui, en les observant depuis nos canapés sur nos écrans de télévision, (plateau télé sur les genoux et télécommande à portée de main pour pouvoir zapper et ne pas voir ce qui nous dérangerait)? Qui sommes-nous pour décider que nous ne devrions pas les accueillir, leur tendre la main, leur ouvrir nos portes (et nos cœurs)?
Cette Mer dans laquelle nous, habitant.e.s des Alpes-Maritimes, nous avons appris à nager. Eux.elles, ne savent pas nager. En 15 ans, environ 46 000 personnes sont décédées dans notre Mer Méditerranée, dont plus de 13 000 depuis 2014, plus de 2 400 au cours du premier semestre 2017. Ces personnes cherchaient une vie meilleure. Elles n’auront pour la plupart même pas droit à une sépulture, personne ne pouvant attester de leur décès en mer. Alors forcément, on ne la voit plus vraiment pareil la Mer Méditerranée. On imagine tous ces corps sans vie posés là, tout au fond, à quelques kilomètres de nos côtes, et ça devient compliqué de faire trempette. Vous vous souvenez peut-être, il y a quelques temps, un fake avait été inventé par les racistes pour dénoncer des « méchants migrants irrespectueux assis sur des tombes dans nos cimetières en salissant la mémoire de la Tante Gertrude et de la cousine Germaine« ? Est-ce cohérent que ces mêmes racistes ne soient pas gênés de se baigner dans la Méditerranée (voire d’y uriner, parce qu’on est bien d’accord, on a tous et toutes fait pipi dans la mer, au moins une fois)? Ce n’est pas gênant de batifoler dans un cimetière à ciel ouvert où plus de 46 000 corps ont été ensevelis en 15 petites années? Cela n’est pas considéré comme de la profanation?
Tout ça, vous nous direz que c’est déjà pas mal pour mettre un coup au moral (et encore, on ne parle pas ici des déclarations récentes de notre ministre de l’intérieur qui veut trier les gens comme des chaussettes sales, de ce qui se passe à Calais comme à Vintimille ou encore dans la Roya ou dans le camp de Metz-Blida ou dans les rues de Nice, ou des 300 personnes jetées à l’eau au large du Yémen par des passeurs, ou…. il y en aurait tant à dire…).
Mais voilà. Nous avons pris connaissance du communiqué de Médecins Sans Frontière du 12 août 2017. En le lisant, nous ressentions la même sensation que lorsque nous entendons le glas sonner (ceux et celles ayant vécu dans des petits villages comprendront).
Nous apprenons donc ce soir que suite à la toute récente décision de la Libye d’interdire aux navires des ONG d’approcher trop près, Médecins Sans Frontière suspend les activités de son navire « Le Prudence »:
Hier, les autorités libyennes ont annoncé l’établissement d’une zone de recherche et sauvetage (SAR) et la limitation de l’accès des bateaux humanitaires aux eaux internationales au large des côtes libyennes. Immédiatement après cette annonce, le Centre de Coordination du Sauvetage Maritime basé à Rome (MRCC) a alerté MSF au sujet des risques de sécurité associés aux menaces exprimées par les garde-côtes libyens à l’encontre des bateaux humanitaires de recherche et sauvetage.
Suite à ces restrictions supplémentaires à l’aide humanitaire indépendante, et face au durcissement du blocus qui retient les migrants en Libye, MSF a décidé de suspendre temporairement les activités de recherche et sauvetage de son bateau, le Prudence. L’équipe de soutien médical de MSF continuera à assister la capacité de sauvetage sur le bateau dirigé par SOS Méditerranée – l’Aquarius – qui navigue actuellement dans les eaux internationales.
« Si ces déclarations seront confirmées et ces directives mises en oeuvre, il y a aura plus de morts en mer et plus de gens seront piégés en Libye, précise Annemarie Loof, directrice des opérations de MSF. Sans les navires des organisations humanitaires, il n’y aura pas assez de capacités pour sauver les gens de la noyade. Ceux qui ne se noieront pas seront interceptés et ramenés en Libye, où ils seront exposés à l’insécurité et à la détention arbitraire. »
Laisser les exilé.e.s aux mains des Libyens, c’est un peu comme laisser ses enfants à …. NON. Nous ne l’écrirons pas. Nous vous laissons imaginer la suite. Personne, non personne, ne peut ignorer la situation en Libye. Les témoignages affluent de tous les côtés. Des enfants armé.e.s dont le jeu favori est de tirer sur les noir.e.s (on a beau hurler contre le handspinner dans nos cours d’école françaises, mais au moins, ça ne tue personne. En théorie). Des marchés d’esclaves, comme à la grande époque. La traite des femmes (premières victimes dès qu’il se passe quelque chose quelque part d’ailleurs, mais c’est un autre sujet). Et les habitant.e.s de l’Union Européenne seraient d’accord pour donner 10 millions d’euros à la Libye et permettre la pérennité de ces actes atroces? Vous qui nous lisez, êtes vous d’accord pour être complices de ça?
Chez Citoyens Solidaires 06, nous n’avons pas l’habitude de livrer nos billets d’humeur, mais là c’était trop. L’actualité était trop chargée, nous avions besoin de partager tout ça.
Nous vous quitterons en vous laissant (re)visionner ce poignant documentaire réalisé par Jean Paul Mari et Frank Dhelens au cours du premier semestre 2016 à bord de l’Aquarius, navire de l’ONG Sos Méditerranée (2016 Production Point du Jour), comme un hommage à toutes ces personnes décédées en Mer Méditerranée. Les Migrants ne savent pas nager. *
* Attention, ce film contient des images pouvant heurter la sensibilité notamment des plus jeunes, et ce dès les premières secondes
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Et pour aller plus loin, voire vérifier ce que l’on raconte (on ne vous dit jamais assez de vérifier vos sources) :
- Généralités :
- Les décès en Méditerranée:
- La charte bonne de conduite des ONG
- Les accords UE / Libye
- Libye : interdiction aux ONG d’approcher
- Et si besoin était, situation des exilé.e.s en Libye
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