La critique de la semaine :
ENTRE RICHESSE DU SUJET ET PAUVRETÉ DU
RÉCIT, NOS RICHESSES DE KAOUTHER ADIMI
PÊCHE PAR MANQUE D’AMBITION
Avec son nouveau roman Kaouther Adimi s’empare de fils passionnants de l’histoire algérienne… Mais livre un croisement de récit un peu en dessous des espérances.
Quel beau sujet que celui de ce livre. Une époque littéraire passionnante, une vie politique en plein changement, et un lieu qui cristallise le désir d’accélérer ce changement : la librairie et maison d’édition Les Vraies Richesses, ouverte à Alger, rue Charras, en novembre 1936 par le jeune Edmond Charlot.
Découvrant le jeune Albert Camus lors de la rédaction de sa première pièce – qu’il publie parce que sa représentation est interdite, Charlot se retrouve, à 23 ans, jeune éditeur et libraire, en contact avec les plumes les plus prometteuses de l’Algérie de l’époque : Jean Amrouche, Himoud Brahimi, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Max-Pol Fouchet, André Gide, Armand Guibert, Emmanuel Roblès, Jules Roy, puis Antoine de Saint-Exupéry, Kateb Yacine… Et il rêve de devenir le carrefour d’une « pensée méditerranéenne qui ne se limite pas au môle d’Alger », le tout, dans un local de quatre mètres sur sept seulement… Un vrai miracle littéraire. Et un bien beau sujet donc.
Mais quel étrange traitement… Le choix de la brièveté et d’une légèreté constante. A peine Kaouther Adimi ébauche-t-elle une description qu’elle l’arrête deux phrases plus tard, voire deux mots. Tout le livre n’est qu’une succession de courtes idées, courts chapitres, alternant avec la reconstitution imaginaire d’un hypothétique journal d’Edmond et avec le récit, lui aussi fictif, de la fermeture de la librairie par un commerçant algérien en 2017, qui veut la transformer en boutique de beignets… Symbolique choix de l’aliment gras et non raffiné pour succéder à la mémoire et aux textes. Mais ce récit contemporain est, lui aussi, évacué avec hâte, comme si l’auteur ne pensait qu’au potentiel ennui du lecteur. L’auteur ou l’éditeur ? Paradoxe ultime pour un livre qui se veut un hommage à une littérature profondément ambitieuse, politisée et risquée.
Pendant une centaine de page, cette lecture alléchante laisse l’impression, surtout à travers le journal fictif, de parcourir des ébauches… Puis un souffle s’installe un peu avec l’aventure parisienne de la maison Charlot. Entre les pages de journal, Kaouther Adimi insère de courts chapitres qui reviennent sur des dates clés de l’histoire algérienne : 1930, 1945 à Sétif, 1954 et le début de l’insurrection algérienne, ou encore la « décennie noire » des années 1990. Le tout reste… intéressant. Du fait de l’histoire originelle incroyable du groupe de Charlot. Des dizaines d’anecdotes passionnantes, sur la publication controversée de Silence de la mer de Vercors ou la mort accidentelle de Saint-Exupéry y apparaissent, évoquées seulement en deux lignes dans le journal fantasmé. Même le jour de la libération, le 25 août 1944, n’aurait inspiré à Charlot que : « Paris libéré ! Hourra ! ». Le 4 janvier 1960, la disparition d’Albert Camus ce simple : « Camus ! ».
Le livre forme toute de même une collection d’idées riches et passionnantes, mais limitée par la forme et le style, qui laissent malgré l’enthousiasme une impression d’inachèvement.
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Nos richesses de Kaouther Adimi
Le Seuil, 222 pages, 17 euros
Le Seuil, 222 pages, 17 euros
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