12/12/2013

RCA: HRW publie "Face au colonel Zabadi", entretien avec un commandant de l'ex-Séléka


Rencontre tendue avec un commandant de l'ex-Séléka, en République centrafricaine
11 DÉCEMBRE 2013
BANGUI, République centrafricaine — Le colonel Saleh Zabadi, commandant de l’alliance des forces rebelles qui a pris le contrôle d'une grande partie de ce pays en mars, est un homme très redouté pour sa dureté.
J’ai récemment rencontré trois hommes qui se sont retrouvés face à lui et qui ont échappé de justesse à la mort. Ces hommes comptaient parmi les sept chrétiens capturés le 18 novembre dernier par des combattants de l'alliance rebelle à majorité musulmane alors qu’ils revenaient de vendre des fruits et légumes sur un marché à quelques kilomètres de la ville de Bossangoa.
Les hommes ont été frappés, ligoté et amenés devant le colonel Zabadi et son commandant, le général Issa Yahya qui a été tué la semaine dernière lors de violents affrontements à Bangui, la capitale). Sans même hésiter, le colonel Zabadi a pris pour argent comptant l’accusation portée par ses hommes selon laquelle les marchands capturés étaient des combattants ennemis. « Jetez-les dans la rivière », a-t-il dit, ordonnant que les hommes soient noyés. Quatre d’entre eux sont morts. Les trois qui en ont réchappé nous ont raconté leur histoire.
La République centrafricaine, un pays enclavé comptant 4,5 millions d’habitants majoritairement chrétiens, est déchirée par les combats opposant l'alliance rebelle appelée Séléka (ou ex-Séléka car les rebelles ont été symboliquement intégrés à l'armée) aux combattants anti-balaka (« anti-machette ») principalement chrétiens qui ont lancé des attaques de représailles contre les rebelles musulmans contrôlant la capitale.
Il y a quelques jours, le photographe Marcus Bleasdale et moi-même avons accepté une invitation pour rencontrer le colonel Zabadi à Bossangoa, ville située à environ 300 kilomètres au nord de Bangui.
La nuit précédente, le général Mahamat Bahar, un autre commandant rebelle, était arrivé à Bossangoa. Il y avait été envoyé par le président Michel Djotodia pour évaluer la situation désastreuse dans la région, où des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d'autres ont dû s’exiler. Il était visiblement ébranlé par ce voyage, au cours duquel il a subi quatre attaques commises par des combattants chrétiens, sans toutefois être blessé. Le général Bahar nous a montré sur son téléphone portable une vidéo d'un chef de village musulman brûlé vif lors d'une attaque perpétrée par des milices chrétiennes en septembre dernier.
Nous avons nous-mêmes recueilli des preuves d’attaques perpétrées par les combattants anti-balaka, et avons passé ces derniers jours à enquêter sur les massacres de civils musulmans à quelques kilomètres de là. L’un d’eux était un jeune berger blessé qui a été assassiné quelques heures après un entretien que nous avons mené avec lui dans un hôpital où il était soigné.
Pendant une demi-heure, face au Colonel Zabadi et à ses hommes qui prêtaient une oreille attentive, nous avons décrit par l’entremise d’un interprète qui relayait nos propos en arabe les violences commises à l'encontre de musulmans. Puis est venu le moment d’aborder les nombreuses atrocités perpétrées par ses propres troupes.
Nous avons relayé le récit d’un témoin chrétien : « Chaque jour, ils assassinent des fermiers qui se rendent aux champs. Ils les chassent comme des animaux, en se cachant dans les buissons pour leur tendre une embuscade. Hier encore, ils ont tiré sur une mère se trouvant près de la rivière et ils ont laissé son corps avec son bébé pleurant à ses côtés. »
J’ai également indiqué au colonel Zabadi que nous avions eu connaissance du meurtre par noyade des marchands chrétiens : « Je sais que c’est vous qui en avez donné l’ordre car certains de ces hommes ont survécu. »
La tension a commencé à se faire sentir au sein de tout le groupe. Le général Bahar a sorti un mouchoir pour essuyer la sueur perlant sur son visage.
J'ai ouvert mon sac à dos et déplié une douzaine d’images satellites montrant des villages que le colonel Zabadi et ses hommes avaient totalement incendiés. Je leur ai dit : « Tous les points rouges correspondent aux maisons que vous avez brûlées. Plus de 400 à Ben Zambé. Plus de 300 à Zéré. Pas un foyer n’a été épargné dans ce village. Idem pour celui-ci. » J’ai ajouté qu'il s'agissait de preuves directes qui pourraient être retenues contre lui devant la Cour pénale internationale en charge des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Un silence pesant s’est installé.
Nous avons fait remarquer que la situation avait changé depuis que les forces françaises de maintien de la paix opérant sous l'égide des Nations Unies étaient arrivées. Au cours de ces derniers jours, les avions de guerre français avaient à plusieurs reprises survolé la ville de Bossangoa pour mettre en garde les groupes armés. Ces avions adressaient un message aux rebelles, leur ai-je expliqué : « Imposez votre autorité par les armes et vous finirez à La Haye ; ou bien choisissez de traiter la population correctement et imposez votre autorité par le respect. »
Mis au pied du mur, le colonel Zabadi n’a pas nié nos accusations. Il a déclaré qu’il souhaitait mettre en place des patrouilles communes avec les forces régionales de maintien de la paix pour encourager les chrétiens locaux à retourner chez eux. Nous avons signalé que, si cela devait se produire, il devait ordonner à ses troupes d’arrêter de tuer les personnes déplacées.
À ma grande surprise et à mon profond soulagement, notre rencontre s’est achevée en toute cordialité. Le général Bahar a promis de transmettre notre message au président à Bangui.
Le jour suivant, nous sommes revenus à l’improviste à la base des Séléka pour informer les commandants que les soldats de la paix africains avaient commencé à désarmer les milices chrétiennes. Nous avons trouvé le général Bahar et le colonel Zabadi en pleine discussion animée avec d'autres commandants Séléka, discussion au cours de laquelle les mots « droits humains » (en arabe) ont souvent été évoqués. Le général Bahar a ordonné aux combattants de rester dans leur caserne, de déposer leurs armes et de demander la permission avant toute sortie. Il a fini par dire : « C’est notre dernière chance. » Ses combattants l’obéiront-ils ? Seul l’avenir le dira.


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