Bonjour à tous.
Je partage ici mon interview avec Frédéric Péguillan, rédacteur en chef de Télérama Sortir.
Un grand merci pour cet espace!
Nous avons également parlé du Pop Group et de Black Roots, d'Inkie et de tellement d'autres artistes qui font de Bristol une ville extraordinaire.
Merci à Bristol donc!
Et merci à Bertrand Dicale, Elisabeth Samama, aux éditions Anne Carrière... et bien sûr au génial et inimitable Robert "3D" Del Naja.
Entretien
Trip-hop, street art… comment Bristol est devenue la ville la plus créative d'Europe
Massive Attack, Portishead, Banksy… La prolifique scène de Bristol a enfanté d'artistes extrêmement talentueux. Nous avons rencontré la journaliste Melissa Chemam, auteure d'un livre qui décrypte le phénomène.
Avec En dehors de la zone de confort – De Massive Attack à Banksy, la journaliste Melissa Chemam a récemment consacré un ouvrage aux artistes qui ont fait de Bristol l’une des villes d’Europe les plus foisonnantes en matière culturelle. A travers le parcours du groupe Massive Attack et de son leader Robert Del Naja, alias 3D (surtout), mais aussi du street artiste Banksy, et de ceux qui les ont précédés ou accompagnés, elle met en lumière une création artistique singulière qui raconte un pan de la société britannique et une cité à l’histoire aussi riche que mouvementée. Du punk au trip-hop en passant par le reggae, Bristol la rebelle a révolutionné la musique en mettant sur le devant de la scène une histoire de la colonisation avec un état d’esprit militant.
A l’occasion d’une rencontre en librairie où elle abordera le rôle social de la musique depuis les années 1960, nous avons demandé à Melissa Chemam de nous expliquer le phénomène Bristol et de nous raconter les « coulisses » de son livre, l’une des rares (la seule ? ) « biographies » d’un groupe britannique par un auteur étranger.
Pourquoi avez-vous consacré un livre à la scène artistique de Bristol ?
Je me suis totalement reconnue dans cette ville qui rassemble beaucoup de mes centres d’intérêt : la culture, l’Angleterre — un pays que j’adore et où j’ai vécu —, et la société multiculturelle, car j’ai grandi dans une banlieue métissée. En 2014, alors que la bande de Gaza était bombardée, Massive Attack, qui a toujours milité pour les droits des Palestiniens et contre la guerre en Irak, est allé jouer au Liban puis à la Fête de l’Humanité. Ils m’ont alors semblé incarner un mouvement artistique engagé à une époque où peu de musiciens le sont encore. Ils ont transformé toute leur musique de façon à transmettre un message. C’est assez unique. J’ai donc eu envie de raconter leur parcours, sous un angle plus journalistique que biographique, en le mettant en perspective avec l’histoire de la ville que Massive Attack a contribué à faire exister sur la carte du monde.
Qu’est-ce qui distingue, selon vous, Bristol d’autres villes d’Angleterre ?
C’est une ville relativement petite, ce qui a permis aux habitants de ses différents quartiers de se croiser. En outre, l’histoire de Bristol est étroitement liée à la traite des esclaves et à la colonisation de l’Amérique. La population s’est diversifiée très tôt, avec, notamment l’installation d’anciens esclaves. Et depuis le XVIIe siècle, la ville a toujours cultivé un esprit rebelle. Elle est peu industrialisée. Ses habitants n’ont pas été détruits par le poids d’un travail harassant. Ils ont donc, de tout temps, trouvé, plus qu’ailleurs, l’énergie nécessaire à la révolte. Grèves et manifestations ne sont pas de vains mots pour eux. Durant les années Thatcher, par exemple, les jeunes du quartier antillais de St Paul étaient sans cesse harcelés par la police qui venait y chercher un peu de drogue. Dans les années 80, la situation a provoqué des émeutes pendant des jours auxquelles a participé une bonne partie de la population, Anglais de souche et Irlandais allant défendre leurs copains jamaïcains.
Musique, street art, mais aussi cinéma : comment expliquer l’effervescence de la scène culturelle de Bristol depuis la fin des années 1970 ?
Ce mélange des populations et cette solidarité se sont déclinés dans la scène underground, favorisé par le fait que la ville était une sorte de cocon avec seulement trois clubs où les jeunes se retrouvaient quelque soit leur origine. De là est né la créativité de Bristol. D’autant que ces gens, souvent au chômage, avaient une culture très développée. Passionnés de musique, ils étaient aussi de grands amateurs de cinéma. Ils passaient plus de temps à regarder des films à la télévision qu’à fumer en bas des immeubles. Dans les soirées, ils pouvaient passer un morceau d’Ennio Morricone entre une chanson de Bob Marley et un titre punk. Le premier sound system des membres de Massive Attack s’appelait d’ailleurs Wild Bunch (La Horde sauvage) d’après le titre du film de Sam Peckinpah. A Bristol, les punks adhéraient au message anti-système du reggae, et les jeunes noirs se reconnaissaient dans le côté rebelle du punk. Aujourd’hui ce serait difficile pour un jeune noir de s’identifier à une telle musique. Bref, tous les éléments étaient rassemblés pour qu’il se passe quelque chose.
Et la musique électronique a facilité l’éclosion d’un mouvement…
A force de se dire qu’il est possible de faire quelque chose, ces futurs artistes ont rendu la chose possible. Ils ont effectivement profité de l’arrivée de la musique électronique et de ses outils bon marché qui permettaient à ceux qui ne savaient pas jouer d’un instrument de composer, il se sont affranchis de toute limite, au-delà même de la musique. Cela a créé une émulation. Les uns à côté des autres, ils ont bâti une énergie de contact. Geoff Barrow (fondateur de Portishead) s’est mis à sampler après avoir entendu Massive Attack mixer l’album Blue Lines. Banksy avait dix ans lorsqu’il a vu la première expo de 3D, qui était déjà un mini héros de la ville à 18 ans grâce à ses graffs. Tricky, qui avait connu une enfance difficile, a pu devenir DJ à l’âge de 15 ans.
Vous a-t-il été difficile d’approcher Robert Del Naja (alias 3D), peu réputé pour se livrer ?
Je ne voyais pas comment m’y prendre. Le groupe n’avait pas fait de promo depuis des années et je n’avais pas d’intermédiaire. J’ai donc jeté de nombreuses bouteilles à la mer. Mon email a fini par lui parvenir grâce à l’un de mes contacts et il a dit oui tout de suite. Je suis donc partie à Bristol pour le rencontrer. Là, je me suis rendu compte qu’il était quasiment inaccessible. Même des musiciens qui travaillaient avec lui depuis des années ne pouvaient pas le voir. Je suis restée dix jours et l’ai revu quelque temps plus tard, puis j’ai passé tout le printemps 2015 à Bristol pour rencontrer ses collaborateurs. Et nous avons beaucoup échangé par mails afin d’approfondir certaines questions sur l’engagement ou l’enregistrement de l’album Mezzanine qui fut très compliqué.
Quel type de personnage est-il ?
Il est perfectionniste et s’autocritique beaucoup. Les journalistes ont peut-être d’ailleurs tendance à ne voir que cet aspect dans ses rares interviews. Ce qui lui vaut une image de personnage ambigu et sombre alors qu’il est lumineux, gentil, bavard et positif. Il a l’énergie d’un ado alors qu’il a 52 ans. Il est boulimique créativement. Il a une idée à la seconde, est toujours en mouvement. Il est obsédé par les nouvelles technologies et la réalité virtuelle. Il crée lui-même ses applis, fait des choses incroyables et, à côté de çà, peut, de la peinture sur les mains, réaliser un collage de façon artisanale pour la pochette d’un disque.
Massive Attack a-t-il encore une influence sur Bristol ?
Oui, le groupe a un poids énorme d’autant qu’il est resté sur place ; il n’a jamais déménagé à Londres. Une soirée à célébré les 25 ans de leur premier album Blue Lines. A l’occasion de leur concert à Bristol en septembre dernier, le premier depuis dix ans, les 27 000 places se sont vendues en une heure. Mais ils sont si populaires que certains musiciens plus jeunes ne veulent pas y être affiliés en se démarquant du trip-hop. Politiquement, Massive Attack prend aussi position. Ils ont, par exemple, toujours refusé de jouer au Concert Hall, l’auditorium de la ville, car il porte le nom d’un marchand d’esclaves. Et lors de certaines élections, Robert Del Naja a également signé des tribunes dans les journaux.
Comment voyez-vous l’avenir du groupe ?
Selon moi, il sera multidimensionnel. Je vois bien 3D retravailler avec des documentaristes. Mais ce qui fait avant tout tenir Massive Attack, c’est la scène. Même si ce n’est pas trop le truc de 3D, elle demeure capitale pour faire passer ses messages, politiques ou environnementaux, à son public à travers des spectacles audio-visuels. Quoi qu’on en dise, il y a un vrai groupe derrière Massive Attack avec le même guitariste depuis 1995, le même batteur depuis 1997. Outre 3D et Daddy G, beaucoup de gens font vivre le projet derrière. Mais il est vrai que leur stratégie de publier peu de choses leur fait courir le risque d’être oubliés. Je pense toutefois que leur prochain disque, sur lequel ils travaillent depuis 2015, paraîtra d’ici la fin de l’année. Même si pour 3D, l’album est un objet du passé, c’est toute leur vie et ils y sont très attachés.
Malgré le sous titre de votre livre, « De Massive Attack à Banksy », ce dernier n’intervient pas dans votre ouvrage. Pourquoi ?
On a évoqué l’idée qu’il s’exprime. Mais finalement ça ne s’est pas fait. Je ne l’ai pas rencontré même s’il est proche de 3D. Certains ont même écrit qu’ils ne faisaient qu’une seule et même personne, ce qui est faux. Il existe déjà beaucoup de livres sur Banksy, donc je n’ai pas insisté. S’il est mentionné dans le titre, c’est parce que le livre parle autant de street art que de musique. 3D est un pionnier du graffiti à Bristol, et beaucoup de gens ne savent pas que Banksy est aussi de Bristol.
Comment vit Bristol aujourd’hui, à l’heure du Brexit ?
La population à voté à 75% contre. Après le résultat, elle était atterrée. Il y a eu, et il y a encore, de nombreuses manifestations pour appeler à un nouveau référendum sur le Brexit. La ville a été élue capitale européenne de l’environnement en 2015 et il existe un partenariat très fort avec le continent. Bristol est à la fois une ville artistique et de l’industrie culturelle avec, entre autres, les studios d’animation Aardman (Wallace et Gromit – NDR) qui s’y sont consolidés. Sans l’Union Européenne, la situation va se compliquer pour tous ces acteurs culturels. Bristol est aussi une ville très écolo. Elle a mis en place sa monnaie locale, la Bristol pound, qui marche très bien (beaucoup d’établissements l’acceptent) et est gérée par des instituts financiers sociaux. Une partie de la paie des employés municipaux et celle du maire sont versées en Bristol pounds. La ville compte aussi de nombreux commerces indépendants. En 2011, eurent lieu des manifestations contre la construction d’un grand centre commercial. Alors, face à toutes ces questions (Brexit, rapports avec les Etats-Unis, politique du gouvernement conservateur…) qui vont à l’encontre de la logique globale adoptée par la ville, les Bristoliens vont certainement réagir, comme toujours.
Rencontre avec Melissa Chemam, samedi 28 janvier, 17h30, Librairie Folies d’encre, 51 avenue Gabriel-Péri, à Saint-Ouen (93), 01 40 12 06 72. Entrée libre.
A lire
En dehors de la zone de confort – De Massive Attack à Banksy, aux Editions Anne Carrière. 21 euros. 300 pages.
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Une des vidéos choisis par Télérama pour illustrer l'article :
Massive Attack perform Eurochild -
live at Bristol downs 2016 (extract)
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Le livre :
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