Les élections au Nigeria vues de Grande-Bretagne
Crédit photo: Reuters
L’ouest de l’Angleterre est un haut lieu d’activité pour la diaspora nigériane. Selon la Canuk, l’association des Nigérians vivants au Royaume-Uni, plus de deux millions de Nigérians vivent officiellement dans le pays, ce qui en fait la plus importante diaspora nigériane au monde, mais les chiffres sont sûrement bien en dessous de la réalité. A Bristol, West England, autant qu’à Londres, les Nigérians ou Britanniques d’origine nigériane, qui ne peuvent voter que s’ils sont inscrits au Nigeria et rentrent au pays, ont les yeux rivés sur leurs avenirs transatlantiques.
Le restaurant Iroko, sur West Street, rassemble les habitués. Ici, Kolade Giwa et sa femme Catherine ont réussi à créer un cocon pour la communauté nigériane de Bristol. Un mercredi soir comme un autre, les jeunes et moins jeunes s’y retrouvent pour dîner, pour commander un repas à emporter ou juste pour passer saluer les amis du quartier. Mais ces dernières semaines, toutes les discussions se sont portées sur les élections de ce 28 mars. Né en Grande-Bretagne, Kolade a été élevé par ses parents au Nigeria avant de revenir faire ses études en Angleterre puis de s’installer à Bristol. Il a la double nationalité et espère bien à terme créer son propre commerce au Nigeria.
Corruption et insécurité
« On ne peut pas voter d’ici, et c’est dommage », entonne en chœur la bande de client d’Iroko. Père d’un petit garçon de 3 ans et d’une fillette de 7 ans, Kolade voit son avenir dans son pays devenu récemment la première économie du continent africain, malgré les problèmes – largement médiatisés dans les journaux britanniques – de corruption et d’insécurité. « C’est vrai que nos dirigeants sont corrompus, ils ne pensent pas aux citoyens nigérians, ils pensent à s’enrichir, avoue ce grand homme dynamique et enthousiaste. Mais je pense que le paysage change. Et surtout l’APC [All Progessives Congress de l’ancien général Muhammadu Buhari, ndlr], le parti d’opposition, a l’air de savoir mieux gérer les choses et c’est pour cela que j’ai envie de croire à l’alternance. Si l’on regarde les Etats dirigés par l’APC, tout y fonctionne beaucoup mieux comme dans l’Etat de Lagos, donc pour moi, ces élections peuvent être un tournant et une source d’espoir. »
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Pour Funmi, jeune journaliste d’origine nigériane qui travaille sur un programme d’une radio locale de Bristol pour lequel elle a couvert cette campagne, « il est évident que ce que pense la diaspora de Grande-Bretagne compte au Nigeria. Nous sommes très impliqués, financièrement et socialement, et la plupart de Nigérians du Royaume-Uni restent inquiets ; ils attendent plus de la démocratie nigériane ». Selon elle, les Nigérians d’Angleterre veulent retourner chez eux et ont envie de redonner au pays mais le contexte rend ce choix coûteux : « On craint quant à la stabilité du pays ; d’ailleurs, de nombreux Nigérians quittent le pays pendant la période des élections pour éviter toute violence. La situation économique, les difficultés à envoyer de l’argent au Nigeria dans de bonnes conditions et l’insécurité croissante sont les principaux point d’inquiétude. »
Espoir de croissance
Mais tous les Nigérians du Royaume-Uni ne sont pas aussi pessimistes. Beaucoup espèrent profiter des opportunités de croissance de leur pays d’origine pour monter leur propre affaire, tout en se reconnectant avec leur pays d’origine. Après tout, Bristol a été comme Liverpool un haut lieu du trafic d’esclave aux XVIIe et XVIIIe siècles, et dans certaines communautés africaines de la ville, l’heure est aussi à la revanche.
Pour Leslie, venu chercher le dîner de la famille ce soir-là, il faut aussi voir les évolutions positives du pays, obtenues ces dernières décennies. « Moi je suis de l’est du Nigeria et mes parents ont souffert de la guerre du Biafra ; or, de nos jours, il n’y a plus de divisions selon les lignes ethniques dans le pays, et c’est déjà un énorme progrès. Nous avons compris que nous sommes plus forts ensemble que divisés ».
Basé à Londres, Lagun Akinloye a étudié la sociologie et les sciences politiques à Leeds dans le nord de l’Angleterre, et est à présent le jeune porte-parole adjoint de la Canuk. Son père a dû fuir le Nigeria pour des raisons politiques durant la dictature militaire. Lagun connaît peu son pays d’origine, où sa mère craignait de l’emmener pendant des années, mais c’est là qu’il voit son avenir. « Mon père a fait partie du gouvernement nigérian jusqu’en 1983, et je me vois bien suivre ses traces. Il parlait tout le temps du pays et moi j’ai dû attendre jusqu’en 2007 pour m’y rendre pour la première fois. Mais j’ai retrouvé dans la communauté nigériane de Londres, basée dans le sud de la ville, à Peckham par exemple, un sentiment de fraternité qui m’a emmené à m’impliquer dans notre association nationale et je me voir faire la même chose au Nigeria. Et même encore plus. »
Lagun ne se fait pas beaucoup plus d’illusions que ses compatriotes sur la classe politique nigériane et ne croit pas à la propagande pour le changement lancée par l’opposition dans sa campagne récente. En revanche, il croit dans l’énorme potentiel économique et diplomatique du pays le plus peuplé d’Afrique ; et comme de nombreux Nigérians du Royaume-Uni, il ne voit pas son avenir ailleurs. Il rêve ainsi à une nouvelle génération politique, pour la prochaine décennie, alors, les élections du 28 mars 2015, il espère juste « qu’elles ne seront pas complètement truquées et que la violence sera contenue ». Après, politiquement, tout reste à construire, mais cela ne lui fait pas peur.
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