16/06/2018

Jules Beckman, performeur chamanique post-moderne




Portrait : Jules Beckman, performeur chamanique post-moderne


La 5e édition de « Danse Élargie » a lieu ce week-end, les 16 et 17 juin 2018, au Théâtre de la Ville à Paris, Espace Cardin. Parmi les spectacles, celui de la chorégraphe basée à Oslo Mia Habib, « ALL-A PHYSICAL POEM OF PROTEST », avec les danseurs et artistes Povilas Bastys, Tarek Halaby, Hanna Mjåvatn, Linn Ragnarsson, Ingunn Rimestad, Jules Beckman. L’occasion de se pencher sur le travail unique de ce dernier. Jules Beckman est un musicien, danseur et performeur américain basée dans le sud de la France. Régulièrement à Paris, il répand un art chamanique incroyablement poétique et radicalement novateur. Portrait.


Crédit photo: Emeline Guillaud



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Par Mélissa Chemam
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Jules décrit Danse Elargie comme un « genre de concours international de danse ». 18 compagnies sélectionnées à partir de 400 dossiers sont invitées à présenter une pièce de dix minutes. La leur comprend une « chorégraphie de 30 corps représentant une forme d’incarnation humaine tourbillonnante du système solaire »…

La chorégraphe, Mia Habib, la décrit ainsi : Un « poème physique né de l'observation des mouvements de migrations et de soulèvements populaires. Les corps investissent l’espace par deux actions : la marche et la course. Les interactions sociales et le rythme des sons apparaissent pour donner lieu à la progression du groupe ».  Mia Habib est une interprète et chorégraphe résidant à Oslo. Elle a dansé pour Carte Blanche, la compagnie nationale de danse contemporaine norvégienne dirigée par Hooman Sharifi.

Poésie et protestation. Thèmes particulièrement présents dans le travail de Jules Beckman, l’un des danseurs, qui lui réside dans le sud de la France, près d’Aubagne, et se produit régulièrement en solo à Paris, Marseille et Bruxelles. En octobre 2017, il était au Théâtre de la Colline pour le spectacle « Le Poète aveugle », créé par Jan Lauwers et la NeedCompany dont il fait partie avec Grace Ellen Barkey, Anna Sophia Bonnema, Hans Petter Melø Dahl, Benoît Gob, Maarten Seghers, Mohamed Toukabri, Elke Janssens et Jan Lauwers. Mêlant musique, danse, théâtre, performance et intervention, ce spectacle raconte, inspiré par le parcours des artistes qui composent la compagnie, une série d’aventure de migrations… D’Indonésie à la Chine, de la Tunisie à Londres, des Etats-Unis à la France, etc. Leurs références vont d’Homère au  poète syrien aveugle Abu al ‘ala al Ma’arri. Le message : Si l’histoire est écrite par les vainqueurs, par des hommes, par des individus qui dictent à la masse ce qu’elle doit faire... D’autres versions existent...

Le parcours de Jules l’a mené de New York à la Californie puis à la France. Compositeur, chanteur bilingue, multi-instrumentiste, il est aussi danseur, poète et performeur. Son propre spectacle, « Pleasure Test », présenté au Silencio à Paris en mai dernier, il le mène en ce moment dans plusieurs villes européennes.

Vidéo – trailer : 


« Pleasure Test » : Le spectateur à l’épreuve du spectacle


Le spectacle se présente d’abord comme un concert, celui d’un musicien américain à l’hypersensibilité perceptible… Il parle à son public et passe de la guitare à la batterie, du clavier au triangle, puis perd le fil… C’est pour nous parler de ses fragilités qu’il est là, en fait, pour « connecter avec son public ».

L’humour guide le travail et l’écriture de Jules Beckman. Passant aisément de l’anglais au français, il s’inspire de sa passion pour les philosophies existentielles, occidentales et asiatiques, mais sans le moindre sérieux académique, pour les questionner, et ainsi les ramener à la vie. Et pourtant, ses compositions rock and folk n’en sont pas moins éblouissantes. D’où le sous-titre du show peut-être : « Rock Ritual Stand Up Anarchy »…

« Jules Beckman retourne à l'excitation, à la joie, et à la terreur, avec sa propre marque spéciale de rituel, de performance ‘soul’ », selon Neva Chonin du San Francisco Chronicle. Beckman combine la chanson et la danse dans une incroyable présentation.



« Les êtres humains ont une pulsion de mort, un esprit destructeur », explique Jules en parlant de son spectacle. « On peut aussi reconnaître cette force de manière mondiale. On vit collectivement un moment dans l’histoire où la question de l’autodestruction est difficile à nier. Le seul fait inchangeable : la mort. L’homme voudrait maitriser sa mort. Il veut prendre le contrôle de la seule chose incontrôlable : sa propre mort, détenir le pouvoir de décider du moment. C’est comme un caprice d’enfant, une crise de nerfs, une réaction contre le fait de notre vulnérabilité. L’antidote serait-il d’apprendre à supporter le vide, d’accepter notre fragilité ? »

Réflexions sur la masculinité, sur le deuil, sur notre dialogue avec l’au-delà, sur la place de l’homme et surtout de sa capacité à créer dans nos sociétés occidentales, enfin sur le nomadisme et le besoin naturel de l’individu d’explorer et de se déplacer, son concert se mute en performance et en voyage, presqu’une quête de sens dans laquelle il espère amener le public. Il s’adresse pour cela directement à lui, puis pour la dernière partie, culminante, implique quatre personne du public dans un rituel puissant : il leur confie la tâche de verser de l’eau sur quatre caisse de tambour sur lesquelles il s’acharnent…Vêtu d’un nouveau costume, muni d’un couteau aiguisé, le performeur entreprend de lâcher ses fantômes et ses démons personnels, mais non sans les avoir reconnu et regardé en face d’abord.

« Partout dans le monde, des gens cachent leurs visages pour parler à Dieu », ajoute Jules, « pour faire leur rituel, pour transcender l’ordinaire. Le sacré magique nous oblige à rompre la linéarité et l'identité quotidienne. La question ‘Qui suis-je?’ peut vous rendre fou. Le masque donne un répit à cette question sans réponse parce que, pour une fois que je suis libre de ne pas être moi ».

Tour à tour poétique, hilarant et chamanique, « Pleasure Test » est une sorte de miroir déformant de notre culture, où le spectacle peut être tellement codifié qu’il n’a plus rien à dire de nouveau. Ici, point de codes. La liberté et la folie reprennent leur droit. Et tout le monde se sent plus léger après cette cathartique mise en danger collective…

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