14/07/2018

Chamanisme : introduction en quelques textes


Je retrouve ces articles datant de 2009. Ecrits pour un numéro spécial du Monde des Religions, ils n'avaient finalement pas été publié tels quels mais plus tard, ailleurs...

Ils sont toujours utile pour comprendre l'histoire des spiritualités chamaniques!

Je les partage donc ici...
Bonne lecture.




Le Monde des Religions – Hors-série Chamanisme


 La représentation de l’univers – La logique chamanique
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam



Un des grands systèmes imaginés par les hommes pour donner un sens au monde et à l’existence, le chamanisme part d’un point de départ très clair : l’alliance entre les hommes et les dieux, entre le visible et l’invisible, entre le réel et le spirituel. Comment le chamanisme se figure-t-il l’univers ? Cette représentation du monde part de l’idée que tout est lié ; les mondes spirituel et matériel ne font qu’un, et l’on peut passer de l’un à l’autre. Et le lien entre le monde matériel et les dieux est personnifié par le chamane. Celui-ci assure l’équilibre entre les deux mondes, et doit prévenir les déséquilibres. Le chamane explique ainsi le monde.
De plus, le chamanisme est un système avant tout destiné à expliquer le mal et le malheur, et à en soulager les hommes. Il attribue les évènements importuns a des forces surnaturelles et se représente le monde en deux entités : le monde profane, le notre, et le monde surnaturel, le « monde-autre ».

Une conception double du monde

Le chamanisme repose donc sur une conception bipolaire, duelle du monde, et par conséquent de l’homme.
L’être humain est fait d’un corps et d’une composante invisible, spirituelle, que beaucoup nomme âme. L’âme, qui est au-delà du matériel et survit à la mort du corps. La séparation entre l’âme et le corps provoque des déséquilibres, selon la logique chamanique : quand celle-ci quitte le corps fugacement la nuit, elle provoque le rêve ; quand elle se sépare de manière prolongée du corps, celui-ci tombe dans la maladie ; quand elle se sépare définitivement du corps, celui-ci meurt.
Tous les êtres de la nature possèdent une âme selon le chamanisme, les hommes aussi bien que les animaux, les végétaux et même les objets.
Le monde lui-même est double, polarisé, entre monde visible et le « monde-autre » ou invisible. Le monde visible correspond à celui de notre quotidien, au monde profane.
Le « monde-autre », surnaturel, est celui des dieux et de leurs émissaires. Il est habituellement invisible aux hommes ordinaires car il est celui des esprits, des ancêtres, des morts, des spectres… Le monde du sacré, que seul les mythes expliquent et décrivent.
Et la logique chamanique veut que ces deux mondes se côtoient incessamment : le sens du monde visible est donné par le monde invisible, qui y est sans cesse présent. Il se peut même que les représentants du « monde-autre », les émissaires des dieux, apparaissent dans notre monde, sous la forme d’êtres ordinaires même, notamment la nuit d’après la tradition chamanique.
Cette représentation bipolaire du monde dans le chamanisme explique une grande part des évènements que vivent les hommes. Les accidents, les malheurs, les imprévus – sécheresse, famine, maladies, tremblement de terre, y résultent d’une action du « monde-autre ». Les êtres du « monde-autre » se comportent comme des chasseurs vis-à-vis des humains, qu’ils pourchassent pour s’en nourrir, comme les hommes se nourrissent des animaux de la nature… Car les hommes pillent et dégradent le « monde-autre » pour leurs propres besoins. Et les êtres surnaturels s’en vengent.
Le « monde-autre » est donc lié au monde physique, il en est une projection, et les êtres qui y résident sont très proches des humains, selon la tradition chamanique, ils sont notamment animés par des passions et sont doués de pensée.  

Hommes, âmes et dieux

Les hommes, mais aussi certains animaux ont une âme, dans la logique chamanique. Chez les Indiens Guajiros, par exemple, en Colombie et au Venezuela, on se représente le bétail comme ayant une âme qui passe dans le monde des morts, les animaux chassés ont un double dans le « monde-autre » comme les hommes. Dans la plupart de traditions chamaniques, les âmes des morts peuvent aussi être libérées, elles reviennent alors dans le monde visible, le plus souvent en se réincarnant en êtres humains, mais aussi en végétaux ou en objets. La mort, pour la pensée chamanique, n’est d’ailleurs qu’un processus dans le cadre des grands cycles de la vie qui permet la reproduction des hommes et de la nature.
Les dieux, quant à eux, forment une sorte de panthéon dans chaque tradition chamanique. Ils sont nommés et décrits à travers de nombreux mythes qui expliquent leurs rôles et leurs significations. Dans ce panthéon ne se trouvent de bons ou de mauvais dieux, mais des personnages divins avec leurs caractéristiques particulières, comme le dieu Pluie, le dieu du mais ou encore le dieu du feu, communs à plusieurs tribus d’Indiens d’Amérique latine.

Le rôle du chamane, un pont entre les deux mondes

Le chamanisme suppose d’emblée qu’une communication est possible entre les deux mondes.
Dans toutes les traditions chamaniques, c’est le chamane qui assure le lien entre les deux mondes, il en est le régulateur, il assure les échanges entre les hommes et la « surnature ».  Le mot chamane vient de la langue Toungouse, des tribus mongoles de Sibérie orientale. Selon son étymologie, incertaine, ce mot voudrait dire « celui qui sait » ou « celui qui bondit ».
Le « monde-autre » s’adresse aux hommes à travers un langage spécifiques, notamment les rêves, les visions, les prédictions. Mais seuls certains humains sont capables de comprendre ces messages et d’établir une communication avec le « monde-autre », car ils le voient et le connaissent, alors que la plupart des hommes ne font que le subir, ou au mieux le pressentir. Ces êtres doués de compréhension sont les chamanes, des hommes choisis par le « monde-autre » pour créer des passerelles entre les deux mondes. Ces chamanes sont détenteurs d’une partie des pouvoirs des esprits surnaturels.

Le pouvoir chamanique que possède le chamane est multiple :
- la plupart des chamanes peuvent provoquer des esprits, que les ethnologues nomment esprits « auxiliaires », car ils émanent du « monde-autre ». Mais ils peuvent aussi envoyer leur propre âme dans le « monde-autre ». Ils deviennent alors médiateurs, car ils ont le pouvoir de dépasser la frontière entre les deux mondes.
- le chamane est également détenteur des techniques permettant d’atteindre l’extase, la sortie du corps. Il est également spécialiste de la maitrise du feu, du vol magique et de la transe, pendant laquelle son âme quitte son corps pour entreprendre soit des ascensions célestes, soit des descentes infernales. Il entretient aussi un rapport avec les esprits et les morts. Il peut surtout entrer en contact avec le monde des esprits dans l’intérêt des membres de sa communauté. Il est à la fois prophète et guérisseur. 

Le chamane est de ce fait un personnage ayant une position particulière dans la société. Il est appelé à la rescousse par les hommes pour comprendre les actions du « monde-autre » sur le monde visible. Il est capable de résoudre certaines situations : maladies, sécheresses, guerre, manque de ressources, etc. Son rôle est de rétablir les équilibres entre les deux mondes. Deux mondes, des hommes et des dieux qui ne sont jamais totalement séparés, et qui communiquent grâce au chamane, voilà toutes les fondations du système chamanique.

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Le Monde des Religions – Hors-série Chamanisme


L’art chamanique
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam


L’adjectif « chamanique », dans notre monde occidental, sert souvent à qualifier une forme d’art, dans des domaines tels que la peinture, la poésie, la musique, la danse ainsi que le théâtre. Notamment du point de vue européen, le chamanisme est producteur d’art. Pour les artistes qui utilisent ce terme, l’art est avant tout visionnaire. Il voit dans le chamane une forme de créateur, qui fait corps avec la nature et qui a le pouvoir de dialoguer avec l’autre monde…
Le chamanisme, comme tous les systèmes religieux est donc producteur d’objets, de paroles, de gestes et de mythes qui s’apparentent à une production artistique, même si pour de nombreux ethnologues, ces objets, gestes et  discours sont avant tout religieux.
Le chamane puise dans la mythologie pour expliquer aux membres de sa communauté qu’il aide ou soigne comment fonctionne le l’autre monde et comment il peut agir sur lui. Il sait mettre en scène ces mythes. Et il sait également mimer les esprits. La fonction du chamane exige en effet de lui d’immenses qualités d’expression et une grande culture. Il use de nombreuses métaphores.

Un art oral et théâtral

 Le chamane est un artiste parce qu’il crée, imagine et improvise pour communiquer ses visions. Chaque chamane développe ainsi son propre style d’expression. Ses qualités personnelles d’expression sont essentielles. Et surtout, il a un public, sa communauté. C’est à lui d’organiser les rituels.
Il est souvent le principal  animateur de la vie sociale de sa communauté, où les séances chamaniques sont souvent les seules occasions de réunion et même de distraction.
Véritables spectacles, ces séances sont organisées autour de déclamations, de tours divers, de prouesses et de scènes de mime, dont la valeur esthétique ne fait aucun doute pour les spécialistes des sociétés sibériennes et amérindiennes, notamment. Ces séances captivent leur public grâce à leur pouvoir de fascination et à leurs qualités théâtrales.


 Créer des images et des objets pour honorer les dieux

Le chamanisme a produit des images graphiques et plastiques mais aussi des objets pour donner une existence concrète aux créatures divines. De cette création résultent des œuvres qui ont pour but de seconder le guérisseur dans sa tâche. Elles sont donc des médiateurs entre le monde des hommes et celui des dieux.
Par exemple, chez les Inuits, leur rôle est de donner au chamane le pouvoir de lutter contre les catastrophes climatiques ainsi que contre les famines. Leurs masques illustrent quant à eux les voyages et les rencontres que les chamanes disent avoir vécu pendant leurs transes.

Des objets actifs

Tous ces objets ont un point commun : ils sont actifs. Ce ne sont pas seulement des symboles. Les thérapeutes, les chamanes, reçoivent de l’autre monde les révélations pour savoir comment donner un pouvoir à ces objets.
Ainsi, les masques fabriqués par les Tlingits de Colombie Britannique, au Canada, et d’Alaska, ne fonctionnent que s’ils sont correctement associés au chant approprié. Les Tlingit ont laissé un art reconnu. Totems, piliers, grands canots, frontons et portiques, tous sculptés en bas relief évoquant leur mythologie. Le masque correspond à l’image qui a été révélée au chamane lors de ses visions. Celui-ci voit souvent un animal comme esprit auxiliaire pendant ces visions, qui est une représentation venue du « monde-autre ». Sur son masque, le chamane reproduit une représentation de cet animal pour entre en communication avec l’esprit. L’esprit auxiliaire devient alors actif en voyant l’appel du chamane.
Chez les Indiens Kuna, des îles San Blas du Panama, ce sont les statuettes qui jouent le rôle d’intermédiaires entre le chamane et les esprits. Et ces statuettes deviennent comme des soldats, elles se battent à sa place contre les mauvais esprits, des qu’elles entendent le bon chant entonné par le chamane. Elles doivent aussi être nourries et parfois enfumées pour devenir actives, ce que seul le guérisseur sait pratiquer.
Les Indiens Navajos communiquent avec les esprits du « monde-autre » grâce aux peintures de sable. Le terme navajo pour désigner les peintures de sable peut être traduit littéralement par « l'endroit par lequel les dieux viennent et vont ». Ce sont des dessins réalisés à base de pierres pulvérisées, de sable sec saupoudré, coloré avec des pigments naturels. Ces réalisations sont sacrées... Elles ne sont pas réalisées par plaisir esthétique, malgré leur valeur esthétique incontestable. A la fois thérapeutiques, religieuses, sociales, spirituelles et relationnelles, elles sont, dans la conception navajo, le lien entre les hommes et les Etres sacrés ; "l'endroit par lequel les Dieux viennent et vont ", un point d'émergence et de contact entre le ciel et la terre

L’exemple des korwars de Nouvelle-Guinée

Les sculptures Korwar, en Nouvelle-Guinée, occupent la même fonction. Ces Papous du Nord-Ouest de la Nouvelle-Guinée, qui vivent dans la péninsule de Kepala Burung. Les Papous utilisaient ces korwar pour un rite annuel, une cérémonie dédiée au Maitre Ciel. Le « mon », chamane et guérisseur, communique avec les esprits lors de cette cérémonie grâce au contact des korwar, de petites sculptures en bois anthropomorphes, dont la tête occupe la plus grande partie de l’objet. Ce sont essentiellement des statuettes funéraires réalisées par les guérisseurs : on les sculptait pour la famille du défunt pour qu’il parte accompagné d’un esprit. Mais tous les hommes n’en bénéficiaient pas, seuls certains membres importants de la communauté, de familles d’envergure.

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Encadré 1 : Attirer les cinq sens : les manteaux, instruments de musique et hochets.

Hochets, tambours, manteaux de chamane, sont tout autant d’instruments conçus pour faire entendre le message du guérisseur aux esprits auxiliaires. Ce sont des objets dont le rôle est d’attirer les esprits, dans tous les types de chamanisme. Pour cela, le chamane doit s’adresser à tous les organes des sens : la vue, l’ouïe, l’odorat le toucher et parfois même le goût. Ces accessoires servent surtout lors des cures que dirige le guérisseur.
Chez les Sibériens, le tambour est lui-même un personnage. L’usage du tambour se retrouve chez les Sibériens, mais aussi en Chine, au Népal, chez les Lapons et les Inuits. Ses sons rythmés forment un appel aux esprits et un langage qui s’adresse au monde invisible en général. Chez les Sibériens Tchouktches, il représente un esprit féminin, une forme d’épouse qui s’allie au chamane. L’apprentissage de son usage peut être très long, et le chamane doit aussi composer des chants personnels pour l’accompagner. 

Le hochet musical s’entend et se voit. Il attire le regard car il est agité pendant les cérémonies. Il est surtout utilisé chez les Amérindiens et représente les mêmes fonctions que le tambour en Asie. L’une des meilleures illustrations est le hochet du chamane Tlingit. Sculpté, peint, le hochet tlingit est fait de deux pièces de bois remplies de cailloux et prolongées d’un manche. La forme évoque celle du profil d’un oiseau. Le son sert à éveiller l’esprit. En Amérique, le hochet est souvent utilisé avec du tabac : le chamane agite le hochet lors des cérémonies tout en mâchant du tabac, pour faire abaisser l’esprit jusqu’aux hommes.

Le manteau du chamane est un élément particulier. A la fois instrument de musique et costume du chamane lors de ses représentations, de ses méditations, le manteau lui sert d’abord a se distinguer. L’un des plus spectaculaires est celui des chamanes sibériens : une forme d’oiseau, les manches rappelant des ailes, et le bas la forme d’une queue a plumes, le costume, en peau, est orné de nombreux de nombreuses représentations d’esprits, de nombreuses lanières, souvent peintes, de rubans, de franges et d’accessoires métalliques. Un manteau peut peser jusqu'à plusieurs dizaines de kilos.


Encadré 2 : les pièges à âmes des Tsimshian

Les Tsimshian vivent sur des territoires repartis entre l’Alaska, le nord des Etats-Unis et le nord-ouest du Canada sur la côte pacifique, le long des rivières et des lacs. Leur société a été particulièrement bouleversée par la « modernisation » et la rencontre avec les Occidentaux, mais les rituels ont réussi à perdurer et nous sont connus grâce aux travaux d’ethnologues du début du XXème siècle.
Objets usuels, et non seulement des œuvres d’art, les pièges à âmes ont été imaginés et créés par les guérisseurs Tsimshian pour soigner les maladies, et rendre la sante. Pour les chamanistes Tsimshian, l’être humain possède une âme dénommée « naahl », capables de sortir du corps, de errer hors de lui durant les rêves, attirée par un animal ou tout autre être du monde-autre. Une absence trop longue de la naahl provoque la maladie. Et seul le chamane peut la retrouver dans le monde invisible. Il se sert alors d’un piège a âme, une sorte de tube creux, d’une vingtaine de centimètres de long, taillé dans des ossements, le plus souvent des tibias d’ours. Il est ensuite incrusté de nacre. Ces extrémités figurent des gueules d’animaux, loups, baleine ou ours le plus souvent. Ils se portent suspendus au cou du chamane, pendant la cure, durant laquelle le guérisseur localise l’âme enfuie à l’aide de chants. Il l’oblige alors a rentrer dans le piège qu’il rebouche a l’aide d’un bouchon en écorce de cèdre, avant de la ramener au malade.

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Le Monde des Religions – Hors-série Chamanisme

Focus sur : L’Amérique du Sud
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam


Il existe autant de chamanisme que de régions du monde ou  non le pratique. Chaque aire culturelle propose un « habillage » spécifique aux pratiques communes à tous les chamanismes. En Amérique latine, cette diversité est tout autant représentée à l’échelle sous-continentale. On retrouve dans tout le continent la même représentation de l’univers en une alliance entre le monde humain et le « monde-autre », constitué d’esprits des morts, mais aussi de la nature et des ancêtres. Cette alliance s’exprime à travers le lien entre chamane et les êtres du « monde-autre », et ce lien, en Amérique latine, est souvent décrit comme une relation de séduction : l’alliance du chamane et des esprits auxiliaires peut pendre la forme d’un mariage, d’un adultère, ou au contraire d’une relation platonique idéalisée. 

Trois grandes étapes historiques

Il est impossible pour les ethnologues de dater les débuts du chamanisme. Mais en Amérique latine, trois grandes périodes historiques ont particulièrement compté dans l’évolution du chamanisme : l’empire aztèque, notamment dans la région du Mexique actuel, l’empire inca, autour de la zone du Pérou, et les colonisation européenne. 
Les Etats précolombiens des Andes et de l’Amérique centrale ont unifié les ethnies de la région par leur langue et leur système politique, et en apportant aussi leur panthéon religieux.
L’idéologie des Indiens des forêts tropicales est emprunte des influences aztèques. On peut citer l’exemple des Guajiro, dans la région du Venezuela et de la Colombie contemporains.
L’empire aztèque a laissé des traces profondes sur les pratiques chamaniques de la région du Mexique. Le rôle du chamane y consistait avant tout à pratiquer les rites de fertilité agraire, notamment chez les huichols ou les Tarahumaras. Il doit également contribuer à la réussite guerrière.
Dans les basses terres, les forêts d’Amazonie, contrairement aux aires des grandes civilisations amérindiennes, la culture chamanique est très hétérogène. L’un des seuls points communs aux pratiques chamaniques de ces Basses-terres est la participation du chamane à l’encouragement des chasseurs.
Ce que l’on peut retenir de commun à toutes ces cultures, c’est que le chamane, occupe une place ambiguë au sein de sa communauté. Il est a la fois intégré à celle-ci, qui a besoin de lui pour soigner ses malades ou connaître l’avenir. Mais il suscite également la méfiance et la marginalité restent néanmoins de rigueur.

L’importance du rêve

Langage de communication entre les deux mondes, pour de nombreux pans de la culture chamanique d’Amérique latine, le rêve est même le principal moyen d’expression du monde-autre. Chez les Guajiros, le rêve est lui-même désigné comme une sorte de dieu, et les chamanes sont considérés comme des rêveurs à volonté.
Chez les Indiens Kagwahiv du Brésil, on dit que « celui qui rêve est un petit peu chamane ».  Cet adage est très représentatif de la pensée chamanique d’Amazonie.
Et de nombreux rêves sont liés à des visions stéréotypées que l’on retrouve dans toue la région amazonienne. Le jaguar a par exemple un rôle privilégié pour les ethnies amazoniennes. Cet animal est associé au rôle du chamane, dont il serait une sorte de représentation mythique primordiale.

Le rôle des plantes hallucinogènes : l’initiation et les transes 

Les sociétés chamaniques amérindiennes considèrent les plantes hallucinogènes comme relevant du monde-autre. Les plus répandues sont l’ayahuasca au Pérou, le tabac et le peyotl, chez les huichlo du Mexique. Chez les Guajiros, par exemple, la preuve par le tabac est utilisée pour identifier le véritable chamane.
Ce type de plante joue un grand rôle dans l’initiation des chamanes en Amérique latine. Chez les Yagua, en Amazonie, le « maitre chamane » doit apprendre l’usage des hallucinogènes, durant une retraite, ainsi que la nature et le rôle des plantes médicinales. Il doit également absorber les « filtres protecteurs », concoctés à base de plantes hallucinogènes, pour communiquer avec les esprits et supporter d’être envahis par eux durant les transes. Chez les Indiens Huichol, au Mexique, et chez les Indiens Kuna du Panama, l’art de préparer et d’utiliser ces plantes se transmet de génération en génération, d’un chamane à l’autre.
Les plantes servent à guider le chamane durant les cures, ou « transes », au sens étymologique de « passage » entre les deux mondes. La « drogue » sert à ouvrir l’accès au « monde-autre », et à enclencher la communication avec les esprits auxiliaires. En agissant sur le corps du chamane, elle rend possible l’expérience d’un ailleurs, où le chamane peut rencontrer les êtres du « monde-autre ». Sous l’effet du produit, le chamane revoit les grands mythes fondateurs de sa culture sous diverses variantes


Encadré 1 : le chamanisme amazonien
Dans les terres amazoniennes, le chamanisme a d’abord été associe à la pratique de la chasse. Le monde amazonien est resté composé d’une mosaïque de peuples, constitués de centaines de microsociétés, n’ayant pas connu l’influence des grandes civilisations précolombiennes.
De plus, le chamanisme amazonien n’a cessé d’évoluer : la ou le chamane intervenait surtout pour garantir le succès de la chasse au gibier, il est aujourd’hui principalement en charge du traitement thérapeutique, de la lutte contre les maladies. Cette évolution caractérise notamment les ethnies Yagua au Pérou.
Les Yagua de l’Amazonie péruvienne, par exemple, pratiquent les « voyages initiatiques », vers le « monde-autre ». Pour y parvenir, le chamane doit prendre une décoction fabriquée a base de liane d’ayahuasca, une plante sacrée associée à la quête de l’autre monde du chamane. Son rôle est de faciliter la mobilité de l’âme, tout comme le rêve, véritable voyage de l’âme pour les Yagua. La plante suscite exactement chez le chamane des songe prophétiques : il se représente les forces surnaturelles qui animent entre autre les plantes et les animaux. Par des chants codés, il parvient à entrer en communication avec ses esprits et ainsi à connaître les origines des malheurs qui frappent les hommes de sa communauté.

Encadré 2 : le nouveau chamanisme
L’acculturation avec les colons occidentaux, résultat de l’imposition d’une culture étrangère dominante, notamment espagnole, a contribué à modifier profondément le chamanisme en Amérique latine. C’est particulièrement visible dans les zones périurbaines du Pérou, chez les Indiens métis d’Iquitos. Dans les villes, les traditions chamaniques se sont mêlées à la morale chrétienne. A présent, certains chamanes, dits métis, se proclament catholiques et  ils affirment que leurs auxiliaires sont des saints chrétiens. D’un autre cote, des chamanes traditionnels se rendent de plus souvent en ville pour rencontrer des chamanes métis et leur emprunter des éléments à leur culte catholique, dans l’espoir d’augmenter leurs pouvoirs.
Pour beaucoup d’ethnologues, cette acculturation et l’émergence de ce nouveau chamanisme démontrent la capacité d’adaptation du chamanisme, qui accepte d’intégrer à ses traditions des éléments extérieurs. Mais d’autres chercheurs s’inquiètent et pensent au contraire que cette évolution ne traduit qu’une logique de bricolage religieux et thérapeutique, qui ne peut mener qu’à la disparition progressive des traditions chamaniques. De plus en plus de pseudo chamanes se revendiquent ainsi guérisseurs tout en intégrant les pratiques de la sorcellerie, de la possession et du mediumnisme. Leurs représentations du monde deviennent changeantes, si bien que l’on n’y retrouve même plus la logique chamanique proprement dite.  En Argentine, certains chamanes Toba sont même chamane et évangélistes à la fois. Au Perou et au Venezuela, les chamanes métis des milieux urbains adhèrent au chamanisme des indigènes des forêts, et recommandent les charmes chamaniques pour rendre efficaces les traitements médicaux et médicaments occidentaux.
Pour de nombreux Amérindiens, exilés dans les villes, la survie des pratiques chamaniques est donc devenu un enjeu identitaire.


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Le Monde des Religions – Hors-série Chamanisme


 La rencontre d’un chamane



Gemme a passé 5 ans à s’initier au chamanisme. Cette Française qui n’avait aucun lien avec le Pérou y est parvenue grâce à la rencontre avec un chamane installé dans la forêt péruvienne. De ce travail spirituel est née une vraie conscience de soi. Portrait d’une initiée et de son chamane.

« Je suis née avec la foi, je l’ai toujours su », raconte Gemme. Après avoir été élevée dans la foi chrétienne, comme beaucoup de croyants, Gemme a douté, et elle a dû refaire un autre chemin spirituel pour retrouver « sa » foi. En 1994, elle change de vie, et commence un travail sur soi. « J’avais besoin de casser toutes mes structures, de rejeter tous les ‘il faut’ et les ‘je dois’, les obligations et surtout la culpabilité qui y est liée ». C’est là que Gemme a rencontré Jamael, en 1996, un masseur qui lui est recommandé chaleureusement. Elle découvre quelques années plus tard que cet homme n’est pas seulement masseur. C’est à l’origine un prêtre orthodoxe, devenu chamane.
Jamael, d’origine française, est aujourd’hui péruvien. Il vit dans la forêt, et travaille dans son temple comme prêtre orthodoxe mais aussi et surtout comme chamane. Il connaît les vertus ancestrales du chamanisme comme les chamanes locaux, et sait faire découvrir le pouvoir de la plante sacrée, utilisée dans les cérémonies chamaniques, l’Ayawaska.
Gemme est allée pour la première fois au Pérou en 2000. « Je suis partie au Pérou pour rejoindre Jamael, avec un petit groupe », raconte Gemme. « J’ai pris de l’ayawaska pour la première fois de ma vie et je n’avais aucune crainte. Pour les chamanes péruviens, c’est avant tout une plante sacrée, qui nous permet de comprendre la foi qui est en nous, et de voir avant tout la douceur qui est en nous, notre belle âme. Ensuite, elle nous permet de voir nos erreurs et les occasions où nous n’avons pas été juste, avant tout pour se pardonner, et passer à autre chose ». 
Cette expérience chamanique doit permettre de ne plus se mentir à soi-même, de se regarder en conscience.

« Pour moi, il est impensable de prendre de l’ayawaska en dehors du Pérou », insiste Gemme.  « Si l’on n’est pas coupé de sa structure sociale et familiale, de son pays, de ses proches, c’est dangereux, parce qu’on la prend par curiosité et non pour faire un travail spirituel. Elle peut alors devenir une drogue. Car elle est faite pour travailler sa foi, sa spiritualité, et non pour panser ses blessures personnelles ou pour aller mieux ».

Jamael, le chamane péruvien venu d’occident

Né à Tunis il y a 57 ans, de parents d’origine italienne, Claude Sciortino a pris le nom de Jamael au Pérou.
Ce prêtre orthodoxe dit toujours qu’il cherche à travers des questions des réponses… « On passe toute sa vie à chercher Dieu », répète-t-il à Gemme, « même si on l’a trouvé ». Selon lui, dans les religions d’églises, Dieu se veut sécurisant, c’est une idée construite voire une institution. Or lui voulait le rencontrer dans la nature, au plus proche du divin, mais sans savoir d’abord comment. Il part alors en voyage, notamment en Inde, puis au Pérou, en 1989. Là, il rencontre un chamane, Juan Carlos, et  commence entre eux une grande amitié. Ce dernier l’invite alors à une cérémonie chamanique. Jamael en sort complètement surpris. « Cette expérience m’a conduit à révéler ma propre mystique ». Il comprend alors qu’il lui faut rester sur cette terre, au Pérou. Il devient chamane lui-même. « Je n’ai pas choisi cette vocation », explique-t-il, « c’est elle qui m’a choisi »…
Il ouvre un centre thérapeutique médical,  en pleine jungle, à Tarapoto, où il travaille comme guérisseur, avec l’ayawaska, tout en continuant à prêcher dans une petite chapelle, pour la communauté orthodoxe. Sa devise est « guérir, prier, chanter ». Il y reçoit essentiellement des occidentaux, en quête de vérité spirituelle.
Malgré tout, Jamael n’est pas un chamane comme les autres. Il n’a pas reçu la tradition en naissant sur les terres du Pérou. Changer de vie a été très difficile pour Jamael ; se découvrir une vocation de chamane est un vrai bouleversement. Il a dû renoncer à une grande part de sa vie française et a laissé là-bas ses trois enfants. Car il a été appelé. « Je reste un pragmatique européen », avoue-t-il même. « Mais j’ai reçu ce don, et je suis désormais un directeur de conscience, il me faut transmettre ce que j’ai moi-même découvert à l’intérieur de moi ».
A présent, Jamael passe plus de 9 mois par an au Pérou. Il y reçoit des Occidentaux, venus d’Europe et d’Australie pour comprendre les profondeurs du chamanisme le plus originel possible. Un séjour à dans son temple dure environ un mois. Ce travail doit être précédé d’un véritable travail sur soi, d’une recherche psychologique profonde. « Entre 1994 et 1999, j’ai entrepris un travail avec un psychothérapeute pour régler tous mes conflits. C’est indispensable avant de se lancer dans une quête spirituelle aussi profonde que celle du chamanisme », insiste Gemme.

Le chamane, un guide dans la recherche spirituelle

Entre deux voyages au Pérou, le travail initié par Jamael doit continuer pour ses visiteurs. « Il faut continue à s’avouer ses erreurs, à les rectifier », explique Gemme. « Or si l’on reste dans le jeu des autres et dans les contraintes sociales, c’est très difficile. Il m’a fallu me couper de beaucoup de proches, qui se disaient que j’étais simplement rentrée dans une secte. Puis les gens ont progressivement compris que j’étais dans une recherche spirituelle ». 
L’ingestion de la plante se fait sous forme de boisson très amère, en groupe, pendant une session de travail avec le chamane, au cœur de la forêt, en soirée. Elle permet de travailler ensemble mais chacun en soi, pendant une heure environ. Elle provoque la vision d’images qui rendent chaque initié plus lucide sur lui, sur ses erreurs, son monde, sur sa propre conscience. Cette pratique ne se réalise qu’en présence du chamane, plusieurs jours de suite. Comme Gemme, beaucoup d’initiés s’y adonnent plusieurs années d’affilée. « Mais au bout d’un certain temps », insiste Gemme, « on n’a plus besoin de la plante ». On entre dans une recherche spirituelle permanente.
Aujourd’hui, le chamanisme semble pourtant devenir une mode. « Or c’est très dangereux », ajoute Gemme, « car c’est un pouvoir, et certaines personnes ont seulement envie de faire croire qu’elles le comprennent, sans réel quête spirituelle ».  Et ce travail n’est absolument pas fait pour tout le monde, insiste Gemme, car cette quête nécessite d’avoir réglé tous ses problèmes. Un individu fragile serait perdu face au pouvoir de la recherche chamanique. Une initiation rare à la portée de très peu d’entre nous.

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