Je retrouve ces articles datant de 2009. Ecrits pour un numéro spécial du Monde des Religions, ils n'avaient finalement pas été publié tels quels mais plus tard, ailleurs...
Ils sont toujours utile pour comprendre l'histoire des spiritualités chamaniques!
Je les partage donc ici...
Bonne lecture.
Le Monde des Religions –
Hors-série Chamanisme
La
représentation de l’univers – La logique chamanique
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam
Un des grands systèmes imaginés par les hommes pour donner
un sens au monde et à l’existence, le chamanisme part d’un point de départ très
clair : l’alliance entre les hommes et les dieux, entre le visible et
l’invisible, entre le réel et le spirituel. Comment le chamanisme se
figure-t-il l’univers ? Cette représentation du monde part de l’idée que
tout est lié ; les mondes spirituel et matériel ne font qu’un, et l’on
peut passer de l’un à l’autre. Et le lien entre le monde matériel et les dieux
est personnifié par le chamane. Celui-ci assure l’équilibre entre les deux
mondes, et doit prévenir les déséquilibres. Le chamane explique ainsi le monde.
De plus, le chamanisme est un système avant tout
destiné à expliquer le mal et le malheur, et à en soulager les hommes. Il
attribue les évènements importuns a des forces surnaturelles et se représente
le monde en deux entités : le monde profane, le notre, et le monde
surnaturel, le « monde-autre ».
Une conception double
du monde
Le chamanisme repose donc sur une conception bipolaire,
duelle du monde, et par conséquent de l’homme.
L’être humain est fait d’un corps et d’une composante
invisible, spirituelle, que beaucoup nomme âme. L’âme, qui est au-delà du
matériel et survit à la mort du corps. La séparation entre l’âme et le corps
provoque des déséquilibres, selon la logique chamanique : quand celle-ci
quitte le corps fugacement la nuit, elle provoque le rêve ; quand elle se
sépare de manière prolongée du corps, celui-ci tombe dans la maladie ;
quand elle se sépare définitivement du corps, celui-ci meurt.
Tous les êtres de la nature possèdent une âme selon le
chamanisme, les hommes aussi bien que les animaux, les végétaux et même les
objets.
Le monde lui-même est double, polarisé, entre monde visible
et le « monde-autre » ou invisible. Le monde visible correspond à
celui de notre quotidien, au monde profane.
Le « monde-autre », surnaturel, est celui des
dieux et de leurs émissaires. Il est habituellement invisible aux hommes
ordinaires car il est celui des esprits, des ancêtres, des morts, des spectres…
Le monde du sacré, que seul les mythes expliquent et décrivent.
Et la logique chamanique veut que ces deux mondes se
côtoient incessamment : le sens du monde visible est donné par le monde
invisible, qui y est sans cesse présent. Il se peut même que les représentants
du « monde-autre », les émissaires des dieux, apparaissent dans notre
monde, sous la forme d’êtres ordinaires même, notamment la nuit d’après la
tradition chamanique.
Cette représentation bipolaire du monde dans le chamanisme
explique une grande part des évènements que vivent les hommes. Les accidents,
les malheurs, les imprévus – sécheresse, famine, maladies, tremblement de
terre, y résultent d’une action du « monde-autre ». Les êtres du
« monde-autre » se comportent comme des chasseurs vis-à-vis des
humains, qu’ils pourchassent pour s’en nourrir, comme les hommes se nourrissent
des animaux de la nature… Car les hommes pillent et dégradent le
« monde-autre » pour leurs propres besoins. Et les êtres surnaturels
s’en vengent.
Le « monde-autre » est donc lié au monde physique,
il en est une projection, et les êtres qui y résident sont très proches des
humains, selon la tradition chamanique, ils sont notamment animés par des
passions et sont doués de pensée.
Hommes, âmes et dieux
Les hommes, mais aussi certains animaux ont une âme, dans la
logique chamanique. Chez les Indiens Guajiros, par exemple, en Colombie et au
Venezuela, on se représente le bétail comme ayant une âme qui passe dans le
monde des morts, les animaux chassés ont un double dans le
« monde-autre » comme les hommes. Dans la plupart de traditions
chamaniques, les âmes des morts peuvent aussi être libérées, elles reviennent
alors dans le monde visible, le plus souvent en se réincarnant en êtres
humains, mais aussi en végétaux ou en objets. La mort, pour la pensée chamanique,
n’est d’ailleurs qu’un processus dans le cadre des grands cycles de la vie qui
permet la reproduction des hommes et de la nature.
Les dieux, quant à eux, forment une sorte de panthéon dans
chaque tradition chamanique. Ils sont nommés et décrits à travers de nombreux
mythes qui expliquent leurs rôles et leurs significations. Dans ce panthéon ne
se trouvent de bons ou de mauvais dieux, mais des personnages divins avec leurs
caractéristiques particulières, comme le dieu Pluie, le dieu du mais ou encore
le dieu du feu, communs à plusieurs tribus d’Indiens d’Amérique latine.
Le rôle du chamane,
un pont entre les deux mondes
Le chamanisme suppose d’emblée qu’une communication est
possible entre les deux mondes.
Dans toutes les traditions chamaniques, c’est le chamane qui
assure le lien entre les deux mondes, il en est le régulateur, il assure les
échanges entre les hommes et la « surnature ». Le mot chamane vient de la langue
Toungouse, des tribus mongoles de Sibérie orientale. Selon son étymologie,
incertaine, ce mot voudrait dire « celui qui sait » ou « celui
qui bondit ».
Le « monde-autre » s’adresse aux hommes à travers
un langage spécifiques, notamment les rêves, les visions, les prédictions. Mais
seuls certains humains sont capables de comprendre ces messages et d’établir
une communication avec le « monde-autre », car ils le voient et le
connaissent, alors que la plupart des hommes ne font que le subir, ou au mieux
le pressentir. Ces êtres doués de compréhension sont les chamanes, des hommes choisis
par le « monde-autre » pour créer des passerelles entre les deux
mondes. Ces chamanes sont détenteurs d’une partie des pouvoirs des esprits
surnaturels.
Le pouvoir chamanique que possède le chamane est
multiple :
- la plupart des chamanes peuvent provoquer des esprits, que
les ethnologues nomment esprits « auxiliaires », car ils émanent du
« monde-autre ». Mais ils peuvent aussi envoyer leur propre âme dans
le « monde-autre ». Ils deviennent alors médiateurs, car ils ont le
pouvoir de dépasser la frontière entre les deux mondes.
- le chamane est également détenteur des techniques
permettant d’atteindre l’extase, la sortie du corps. Il est également
spécialiste de la maitrise du feu, du vol magique et de la transe, pendant
laquelle son âme quitte son corps pour entreprendre soit des ascensions
célestes, soit des descentes infernales. Il entretient aussi un rapport avec
les esprits et les morts. Il peut surtout entrer en contact avec le monde des
esprits dans l’intérêt des membres de sa communauté. Il est à la fois prophète
et guérisseur.
Le chamane est de ce fait un personnage ayant une position
particulière dans la société. Il est appelé à la rescousse par les hommes pour
comprendre les actions du « monde-autre » sur le monde visible. Il
est capable de résoudre certaines situations : maladies, sécheresses,
guerre, manque de ressources, etc. Son rôle est de rétablir les équilibres
entre les deux mondes. Deux mondes, des hommes et des dieux qui ne sont jamais
totalement séparés, et qui communiquent grâce au chamane, voilà toutes les
fondations du système chamanique.
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Le Monde des Religions –
Hors-série Chamanisme
L’art
chamanique
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam
L’adjectif
« chamanique », dans notre monde occidental, sert souvent à qualifier
une forme d’art, dans des domaines tels que la peinture, la poésie, la musique,
la danse ainsi que le théâtre. Notamment du point de vue européen, le
chamanisme est producteur d’art. Pour les artistes qui utilisent ce terme,
l’art est avant tout visionnaire. Il voit dans le chamane une forme de
créateur, qui fait corps avec la nature et qui a le pouvoir de dialoguer avec
l’autre monde…
Le chamanisme, comme tous les systèmes religieux est donc
producteur d’objets, de paroles, de gestes et de mythes qui s’apparentent à une
production artistique, même si pour de nombreux ethnologues, ces objets, gestes
et discours sont avant tout
religieux.
Le chamane puise dans la mythologie pour expliquer aux
membres de sa communauté qu’il aide ou soigne comment fonctionne le l’autre
monde et comment il peut agir sur lui. Il sait mettre en scène ces mythes. Et
il sait également mimer les esprits. La fonction du chamane exige en effet de
lui d’immenses qualités d’expression et une grande culture. Il use de
nombreuses métaphores.
Un art oral et
théâtral
Le chamane est
un artiste parce qu’il crée, imagine et improvise pour communiquer ses visions.
Chaque chamane développe ainsi son propre style d’expression. Ses qualités
personnelles d’expression sont essentielles. Et surtout, il a un public, sa
communauté. C’est à lui d’organiser les rituels.
Il est souvent le principal animateur de la vie sociale de sa communauté, où les séances
chamaniques sont souvent les seules occasions de réunion et même de
distraction.
Véritables spectacles, ces séances sont organisées autour de
déclamations, de tours divers, de prouesses et de scènes de mime, dont la
valeur esthétique ne fait aucun doute pour les spécialistes des sociétés
sibériennes et amérindiennes, notamment. Ces séances captivent leur public
grâce à leur pouvoir de fascination et à leurs qualités théâtrales.
Créer des images et des objets pour
honorer les dieux
Le chamanisme a produit des images graphiques et plastiques
mais aussi des objets pour donner une existence concrète aux créatures divines.
De cette création résultent des œuvres qui ont pour but de seconder le
guérisseur dans sa tâche. Elles sont donc des médiateurs entre le monde des
hommes et celui des dieux.
Par exemple, chez les Inuits, leur rôle est de donner au
chamane le pouvoir de lutter contre les catastrophes climatiques ainsi que
contre les famines. Leurs masques illustrent quant à eux les voyages et les
rencontres que les chamanes disent avoir vécu pendant leurs transes.
Des objets actifs
Tous ces objets ont un point commun : ils sont actifs.
Ce ne sont pas seulement des symboles. Les thérapeutes, les chamanes, reçoivent
de l’autre monde les révélations pour savoir comment donner un pouvoir à ces
objets.
Ainsi, les masques fabriqués par les Tlingits de Colombie Britannique,
au Canada, et d’Alaska, ne fonctionnent que s’ils sont correctement associés au
chant approprié. Les Tlingit ont laissé un art reconnu. Totems, piliers, grands
canots, frontons et portiques, tous sculptés en bas relief évoquant leur
mythologie. Le masque correspond à l’image qui a été révélée au chamane lors de
ses visions. Celui-ci voit souvent un animal comme esprit auxiliaire pendant
ces visions, qui est une représentation venue du « monde-autre ». Sur
son masque, le chamane reproduit une représentation de cet animal pour entre en
communication avec l’esprit. L’esprit auxiliaire devient alors actif en voyant l’appel du
chamane.
Chez
les Indiens Kuna, des îles San Blas du Panama, ce sont les statuettes qui
jouent le rôle d’intermédiaires entre le chamane et les esprits. Et ces
statuettes deviennent comme des soldats, elles se battent à sa place contre les
mauvais esprits, des qu’elles entendent le bon chant entonné par le chamane.
Elles doivent aussi être nourries et parfois enfumées pour devenir actives, ce
que seul le guérisseur sait pratiquer.
Les
Indiens Navajos communiquent avec les esprits du « monde-autre »
grâce aux peintures de sable. Le terme navajo pour désigner les peintures de
sable peut être traduit littéralement par « l'endroit par lequel les dieux
viennent et vont ». Ce sont des dessins réalisés à base de pierres
pulvérisées, de sable sec saupoudré, coloré avec des pigments naturels. Ces
réalisations sont sacrées... Elles ne sont pas réalisées par plaisir
esthétique, malgré leur valeur esthétique incontestable. A la fois
thérapeutiques, religieuses, sociales, spirituelles et relationnelles, elles
sont, dans la conception navajo, le lien entre les hommes et les Etres sacrés ;
"l'endroit par lequel les Dieux viennent et vont ", un point
d'émergence et de contact entre le ciel et la terre
L’exemple des
korwars de Nouvelle-Guinée
Les
sculptures Korwar, en Nouvelle-Guinée, occupent la même fonction. Ces Papous du
Nord-Ouest de la Nouvelle-Guinée, qui vivent dans la péninsule de Kepala
Burung. Les Papous utilisaient ces korwar pour un rite annuel, une cérémonie
dédiée au Maitre Ciel. Le « mon »,
chamane et guérisseur, communique avec les esprits lors de cette cérémonie
grâce au contact des korwar, de petites sculptures en bois anthropomorphes,
dont la tête occupe la plus grande partie de l’objet. Ce sont essentiellement
des statuettes funéraires réalisées par les guérisseurs : on les sculptait
pour la famille du défunt pour qu’il parte accompagné d’un esprit. Mais tous
les hommes n’en bénéficiaient pas, seuls certains membres importants de la
communauté, de familles d’envergure.
***
Encadré 1 : Attirer
les cinq sens : les manteaux, instruments de musique et hochets.
Hochets, tambours, manteaux de chamane, sont tout autant
d’instruments conçus pour faire entendre le message du guérisseur aux esprits
auxiliaires. Ce sont des objets dont le rôle est d’attirer les esprits, dans
tous les types de chamanisme. Pour cela, le chamane doit s’adresser à tous les
organes des sens : la vue, l’ouïe, l’odorat le toucher et parfois même le
goût. Ces accessoires servent surtout lors des cures que dirige le guérisseur.
Chez les Sibériens, le tambour est lui-même un personnage.
L’usage du tambour se retrouve chez les Sibériens, mais aussi en Chine, au Népal,
chez les Lapons et les Inuits. Ses sons rythmés forment un appel aux esprits et
un langage qui s’adresse au monde invisible en général. Chez les Sibériens
Tchouktches, il représente un esprit féminin, une forme d’épouse qui s’allie au
chamane. L’apprentissage de son usage peut être très long, et le chamane doit
aussi composer des chants personnels pour l’accompagner.
Le hochet musical s’entend et se voit. Il attire le regard
car il est agité pendant les cérémonies. Il est surtout utilisé chez les Amérindiens
et représente les mêmes fonctions que le tambour en Asie. L’une des meilleures
illustrations est le hochet du chamane Tlingit. Sculpté, peint, le hochet
tlingit est fait de deux pièces de bois remplies de cailloux et prolongées d’un
manche. La forme évoque celle du profil d’un oiseau. Le son sert à éveiller
l’esprit. En Amérique, le hochet est souvent utilisé avec du tabac : le
chamane agite le hochet lors des cérémonies tout en mâchant du tabac, pour
faire abaisser l’esprit jusqu’aux hommes.
Le manteau du chamane est un élément particulier. A la fois
instrument de musique et costume du chamane lors de ses représentations, de ses
méditations, le manteau lui sert d’abord a se distinguer. L’un des plus
spectaculaires est celui des chamanes sibériens : une forme d’oiseau, les
manches rappelant des ailes, et le bas la forme d’une queue a plumes, le
costume, en peau, est orné de nombreux de nombreuses représentations d’esprits,
de nombreuses lanières, souvent peintes, de rubans, de franges et d’accessoires
métalliques. Un manteau peut peser jusqu'à plusieurs dizaines de kilos.
Encadré 2 : les
pièges à âmes des Tsimshian
Les Tsimshian vivent sur des territoires repartis entre l’Alaska, le nord des Etats-Unis et le nord-ouest du Canada sur la côte pacifique, le long des rivières et des lacs. Leur société a été particulièrement bouleversée par la « modernisation » et la rencontre avec les Occidentaux, mais les rituels ont réussi à perdurer et nous sont connus grâce aux travaux d’ethnologues du début du XXème siècle.
Objets usuels, et non seulement des œuvres d’art, les pièges
à âmes ont été imaginés et créés par les guérisseurs Tsimshian pour soigner les
maladies, et rendre la sante. Pour les chamanistes Tsimshian, l’être humain
possède une âme dénommée « naahl »,
capables de sortir du corps, de errer hors de lui durant les rêves, attirée par
un animal ou tout autre être du monde-autre. Une absence trop longue de la naahl provoque la maladie. Et seul le
chamane peut la retrouver dans le monde invisible. Il se sert alors d’un piège
a âme, une sorte de tube creux, d’une vingtaine de centimètres de long, taillé
dans des ossements, le plus souvent des tibias d’ours. Il est ensuite incrusté
de nacre. Ces extrémités figurent des gueules d’animaux, loups, baleine ou ours
le plus souvent. Ils se portent suspendus au cou du chamane, pendant la cure,
durant laquelle le guérisseur localise l’âme enfuie à l’aide de chants. Il
l’oblige alors a rentrer dans le piège qu’il rebouche a l’aide d’un bouchon en
écorce de cèdre, avant de la ramener au malade.
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Le Monde des Religions –
Hors-série Chamanisme
Focus sur : L’Amérique du Sud
Par Michel Perrin et Mélissa Chemam
Il existe autant de chamanisme
que de régions du monde ou non le
pratique. Chaque aire culturelle propose un « habillage » spécifique
aux pratiques communes à tous les chamanismes. En Amérique latine, cette
diversité est tout autant représentée à l’échelle sous-continentale. On
retrouve dans tout le continent la même représentation de l’univers en une
alliance entre le monde humain et le « monde-autre », constitué
d’esprits des morts, mais aussi de la nature et des ancêtres. Cette alliance
s’exprime à travers le lien entre chamane et les êtres du
« monde-autre », et ce lien, en Amérique latine, est souvent décrit
comme une relation de séduction : l’alliance du chamane et des esprits
auxiliaires peut pendre la forme d’un mariage, d’un adultère, ou au contraire
d’une relation platonique idéalisée.
Trois grandes étapes
historiques
Il est impossible pour les ethnologues de dater les débuts
du chamanisme. Mais en Amérique latine, trois grandes périodes historiques ont
particulièrement compté dans l’évolution du chamanisme : l’empire aztèque,
notamment dans la région du Mexique actuel, l’empire inca, autour de la zone du
Pérou, et les colonisation européenne.
Les Etats précolombiens des Andes et de l’Amérique centrale
ont unifié les ethnies de la région par leur langue et leur système politique,
et en apportant aussi leur panthéon religieux.
L’idéologie des Indiens des forêts tropicales est emprunte
des influences aztèques. On peut citer l’exemple des Guajiro, dans la région du
Venezuela et de la Colombie contemporains.
L’empire aztèque a laissé des traces profondes sur les
pratiques chamaniques de la région du Mexique. Le rôle du chamane y consistait
avant tout à pratiquer les rites de fertilité agraire, notamment chez les
huichols ou les Tarahumaras. Il doit également contribuer à la réussite
guerrière.
Dans les basses terres, les forêts d’Amazonie, contrairement
aux aires des grandes civilisations amérindiennes, la culture chamanique est
très hétérogène. L’un des seuls points communs aux pratiques chamaniques de ces
Basses-terres est la participation du chamane à l’encouragement des chasseurs.
Ce
que l’on peut retenir de commun à toutes ces cultures, c’est que le
chamane, occupe une place ambiguë au sein de sa communauté. Il est a la fois
intégré à celle-ci, qui a besoin de lui pour soigner ses malades ou connaître
l’avenir. Mais il suscite également la méfiance et la marginalité restent
néanmoins de rigueur.
L’importance du rêve
Langage de communication entre les deux mondes, pour de
nombreux pans de la culture chamanique d’Amérique latine, le rêve est
même le principal moyen d’expression du monde-autre. Chez les Guajiros, le
rêve est lui-même désigné comme une sorte de dieu, et les chamanes sont
considérés comme des rêveurs à volonté.
Chez les Indiens Kagwahiv du Brésil, on dit que « celui
qui rêve est un petit peu chamane ».
Cet adage est très représentatif de la pensée chamanique d’Amazonie.
Et de nombreux rêves sont liés à des visions stéréotypées
que l’on retrouve dans toue la région amazonienne. Le jaguar a par exemple un
rôle privilégié pour les ethnies amazoniennes. Cet animal est associé au rôle
du chamane, dont il serait une sorte de représentation mythique primordiale.
Le rôle des plantes
hallucinogènes : l’initiation et les transes
Les sociétés chamaniques amérindiennes considèrent les
plantes hallucinogènes comme relevant du monde-autre. Les plus répandues sont
l’ayahuasca au Pérou, le tabac et le peyotl, chez les huichlo du Mexique. Chez
les Guajiros, par exemple, la preuve par le tabac est utilisée pour identifier
le véritable chamane.
Ce type de plante joue un grand rôle dans l’initiation des
chamanes en Amérique latine. Chez les Yagua, en Amazonie, le « maitre
chamane » doit apprendre l’usage des hallucinogènes, durant une retraite,
ainsi que la nature et le rôle des plantes médicinales. Il doit également
absorber les « filtres protecteurs », concoctés à base de plantes
hallucinogènes, pour communiquer avec les esprits et supporter d’être envahis
par eux durant les transes. Chez les Indiens Huichol, au Mexique, et chez les
Indiens Kuna du Panama, l’art de préparer et d’utiliser ces plantes se transmet
de génération en génération, d’un chamane à l’autre.
Les plantes servent à guider le chamane durant les cures, ou
« transes », au sens étymologique de « passage » entre les
deux mondes. La « drogue » sert à ouvrir l’accès au
« monde-autre », et à enclencher la communication avec les esprits
auxiliaires. En agissant sur le corps du chamane, elle rend possible
l’expérience d’un ailleurs, où le chamane peut rencontrer les êtres du
« monde-autre ». Sous l’effet du produit, le chamane revoit les
grands mythes fondateurs de sa culture sous diverses variantes
Encadré 1 : le
chamanisme amazonien
Dans les terres amazoniennes, le chamanisme a d’abord été
associe à la pratique de la chasse. Le monde amazonien est resté composé d’une
mosaïque de peuples, constitués de centaines de microsociétés, n’ayant pas
connu l’influence des grandes civilisations précolombiennes.
De plus, le chamanisme amazonien n’a cessé d’évoluer :
la ou le chamane intervenait surtout pour garantir le succès de la chasse au
gibier, il est aujourd’hui principalement en charge du traitement
thérapeutique, de la lutte contre les maladies. Cette évolution caractérise
notamment les ethnies Yagua au Pérou.
Les Yagua de l’Amazonie péruvienne, par exemple, pratiquent
les « voyages initiatiques », vers le « monde-autre ». Pour
y parvenir, le chamane doit prendre une décoction fabriquée a base de liane
d’ayahuasca, une plante sacrée associée à la quête de l’autre monde du chamane.
Son rôle est de faciliter la mobilité de l’âme, tout comme le rêve, véritable
voyage de l’âme pour les Yagua. La plante suscite exactement chez le chamane
des songe prophétiques : il se représente les forces surnaturelles qui
animent entre autre les plantes et les animaux. Par des chants codés, il
parvient à entrer en communication avec ses esprits et ainsi à connaître les
origines des malheurs qui frappent les hommes de sa communauté.
Encadré 2 : le
nouveau chamanisme
L’acculturation avec les colons occidentaux, résultat de
l’imposition d’une culture étrangère dominante, notamment espagnole, a
contribué à modifier profondément le chamanisme en Amérique latine. C’est
particulièrement visible dans les zones périurbaines du Pérou, chez les Indiens
métis d’Iquitos. Dans les villes, les traditions chamaniques se sont mêlées à
la morale chrétienne. A présent, certains chamanes, dits métis, se proclament
catholiques et ils affirment que
leurs auxiliaires sont des saints chrétiens. D’un autre cote, des chamanes
traditionnels se rendent de plus souvent en ville pour rencontrer des chamanes métis
et leur emprunter des éléments à leur culte catholique, dans l’espoir
d’augmenter leurs pouvoirs.
Pour beaucoup d’ethnologues, cette acculturation et
l’émergence de ce nouveau chamanisme démontrent la capacité d’adaptation du
chamanisme, qui accepte d’intégrer à ses traditions des éléments extérieurs.
Mais d’autres chercheurs s’inquiètent et pensent au contraire que cette
évolution ne traduit qu’une logique de bricolage religieux et thérapeutique,
qui ne peut mener qu’à la disparition progressive des traditions chamaniques.
De plus en plus de pseudo chamanes se revendiquent ainsi guérisseurs tout en
intégrant les pratiques de la sorcellerie, de la possession et du mediumnisme.
Leurs représentations du monde deviennent changeantes, si bien que l’on n’y retrouve
même plus la logique chamanique proprement dite. En Argentine, certains chamanes Toba sont même chamane et
évangélistes à la fois. Au Perou et au Venezuela, les chamanes métis des
milieux urbains adhèrent au chamanisme des indigènes des forêts, et
recommandent les charmes chamaniques pour rendre efficaces les traitements
médicaux et médicaments occidentaux.
Pour de nombreux Amérindiens, exilés dans les villes, la
survie des pratiques chamaniques est donc devenu un enjeu identitaire.
Le Monde des Religions –
Hors-série Chamanisme
La rencontre
d’un chamane
Gemme a passé 5 ans à s’initier au chamanisme. Cette Française qui
n’avait aucun lien avec le Pérou y est parvenue grâce à la rencontre avec un
chamane installé dans la forêt péruvienne. De ce travail spirituel est née une
vraie conscience de soi. Portrait d’une initiée et de son chamane.
« Je suis née avec la foi, je l’ai toujours su »,
raconte Gemme. Après avoir été élevée dans la foi chrétienne, comme beaucoup de
croyants, Gemme a douté, et elle a dû refaire un autre chemin spirituel pour
retrouver « sa » foi. En 1994, elle change de vie, et commence un
travail sur soi. « J’avais besoin de casser toutes mes structures, de
rejeter tous les ‘il faut’ et les ‘je dois’, les obligations et surtout la
culpabilité qui y est liée ». C’est là que Gemme a rencontré Jamael, en
1996, un masseur qui lui est recommandé chaleureusement. Elle découvre quelques
années plus tard que cet homme n’est pas seulement masseur. C’est
à l’origine un prêtre orthodoxe, devenu chamane.
Jamael, d’origine française, est aujourd’hui péruvien. Il
vit dans la forêt, et travaille dans son temple comme prêtre orthodoxe mais
aussi et surtout comme chamane. Il connaît les vertus ancestrales du chamanisme
comme les chamanes locaux, et sait faire découvrir le pouvoir de la plante
sacrée, utilisée dans les cérémonies chamaniques, l’Ayawaska.
Gemme est allée pour la première fois au Pérou en 2000.
« Je suis partie au Pérou pour rejoindre Jamael, avec un petit
groupe », raconte Gemme. « J’ai pris de l’ayawaska pour la première
fois de ma vie et je n’avais aucune crainte. Pour les chamanes péruviens, c’est
avant tout une plante sacrée, qui nous permet de comprendre la foi qui est en
nous, et de voir avant tout la douceur qui est en nous, notre belle âme.
Ensuite, elle nous permet de voir nos erreurs et les occasions où nous n’avons
pas été juste, avant tout pour se pardonner, et passer à autre chose ».
Cette expérience chamanique doit permettre de ne plus se
mentir à soi-même, de se regarder en conscience.
« Pour moi, il est impensable de prendre de l’ayawaska
en dehors du Pérou », insiste Gemme.
« Si l’on n’est pas coupé de sa structure sociale et familiale, de
son pays, de ses proches, c’est dangereux, parce qu’on la prend par curiosité
et non pour faire un travail spirituel. Elle peut alors devenir une drogue. Car
elle est faite pour travailler sa foi, sa spiritualité, et non pour panser ses
blessures personnelles ou pour aller mieux ».
Jamael, le chamane
péruvien venu d’occident
Né à Tunis il y a 57 ans, de parents d’origine italienne,
Claude Sciortino a pris le nom de Jamael au Pérou.
Ce prêtre orthodoxe dit toujours qu’il cherche à travers des
questions des réponses… « On passe toute sa vie à chercher Dieu »,
répète-t-il à Gemme, « même si on l’a trouvé ». Selon lui, dans les
religions d’églises, Dieu se veut sécurisant, c’est une idée construite voire
une institution. Or lui voulait le rencontrer dans la nature, au plus proche du
divin, mais sans savoir d’abord comment. Il part alors en voyage, notamment en
Inde, puis au Pérou, en 1989. Là, il rencontre un chamane, Juan Carlos, et commence entre eux une grande amitié. Ce
dernier l’invite alors à une cérémonie chamanique. Jamael en sort complètement
surpris. « Cette expérience m’a conduit à révéler ma propre
mystique ». Il comprend alors qu’il lui faut rester sur cette terre, au
Pérou. Il devient chamane lui-même. « Je n’ai pas choisi cette vocation »,
explique-t-il, « c’est elle qui m’a choisi »…
Il ouvre un centre thérapeutique médical, en pleine jungle, à Tarapoto, où il
travaille comme guérisseur, avec l’ayawaska, tout en continuant à prêcher dans
une petite chapelle, pour la communauté orthodoxe. Sa devise est « guérir,
prier, chanter ». Il y reçoit essentiellement des occidentaux, en quête de
vérité spirituelle.
Malgré tout, Jamael n’est pas un chamane comme les autres.
Il n’a pas reçu la tradition en naissant sur les terres du Pérou. Changer de
vie a été très difficile pour Jamael ; se découvrir une vocation de
chamane est un vrai bouleversement. Il a dû renoncer à une grande part de sa
vie française et a laissé là-bas ses trois enfants. Car il a été appelé.
« Je reste un pragmatique européen », avoue-t-il même. « Mais
j’ai reçu ce don, et je suis désormais un directeur de conscience, il me faut
transmettre ce que j’ai moi-même découvert à l’intérieur de moi ».
A présent, Jamael passe plus de 9 mois par an au Pérou. Il y
reçoit des Occidentaux, venus d’Europe et d’Australie pour comprendre les
profondeurs du chamanisme le plus originel possible. Un séjour à dans son
temple dure environ un mois. Ce travail doit être précédé d’un véritable
travail sur soi, d’une recherche psychologique profonde. « Entre 1994 et
1999, j’ai entrepris un travail avec un psychothérapeute pour régler tous mes
conflits. C’est indispensable avant de se lancer dans une quête spirituelle
aussi profonde que celle du chamanisme », insiste Gemme.
Le chamane, un guide
dans la recherche spirituelle
Entre deux voyages au Pérou, le travail initié par Jamael
doit continuer pour ses visiteurs. « Il faut continue à s’avouer ses
erreurs, à les rectifier », explique Gemme. « Or si l’on reste dans
le jeu des autres et dans les contraintes sociales, c’est très difficile. Il
m’a fallu me couper de beaucoup de proches, qui se disaient que j’étais
simplement rentrée dans une secte. Puis les gens ont progressivement compris
que j’étais dans une recherche spirituelle ».
L’ingestion de la plante se fait sous forme de boisson très
amère, en groupe, pendant une session de travail avec le chamane, au cœur de la
forêt, en soirée. Elle permet de travailler ensemble mais chacun en soi,
pendant une heure environ. Elle provoque la vision d’images qui rendent chaque
initié plus lucide sur lui, sur ses erreurs, son monde, sur sa propre
conscience. Cette pratique ne se réalise qu’en présence du chamane, plusieurs
jours de suite. Comme Gemme, beaucoup d’initiés s’y adonnent plusieurs années
d’affilée. « Mais au bout d’un certain temps », insiste Gemme,
« on n’a plus besoin de la plante ». On entre dans une recherche
spirituelle permanente.
Aujourd’hui, le chamanisme semble pourtant devenir une mode.
« Or c’est très dangereux », ajoute Gemme, « car c’est un
pouvoir, et certaines personnes ont seulement envie de faire croire qu’elles le
comprennent, sans réel quête spirituelle ». Et ce travail n’est absolument pas fait pour tout le monde,
insiste Gemme, car cette quête nécessite d’avoir réglé tous ses problèmes. Un
individu fragile serait perdu face au pouvoir de la recherche chamanique. Une
initiation rare à la portée de très peu d’entre nous.
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