Allez voir 'Kalashnikov!
Ma chronique pour le site Toute la Culture : http://toutelaculture.com/
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'Kalashnikov', la bombe du Rond Point
Petite bombe, intime guerre, performance et relecture/réécriture d’Oedipe, cette pièce – spectacle de Stéphane Guérin est un bijou de drôlerie et de provocation. Pourquoi se priver d’un tel talent?
Le texte
de Stéphane Guérin est déjà un chef d’œuvre en lui-même. La mise en scène de
Pierre Notte vient nous relever tout cela. Comme d’habitude dans la salle
Roland Topor du Rond Point, le décor est minimaliste, un canapé en premier
plan, une table et deux chaises au fond. Mais le jeu est explosif. Les acteurs,
que ce soit Raphaëline Goupilleau dans le rôle de la mère, Yann de Monterno dans celui du père ou Cyrille Thouvenin, ‘l’Enfant’, sont exquis, les personnages à
la fois odieux et excellents. On a donc affaire à une famille, un couple
endolori face à la fin de vie de son téléviseur, mais aussi à un/une
intrus : incarnée par Annick Le Goff, Pamela/Sale-Arabe/Youssouf est un nom
personnage, un chœur à l’envers, que la mère présente comme une ‘pute arabe qui
s’est incrustée et nous aide pour la salle de bain’. Elle s’incarne peu à peu
en leur mauvaise conscience ou leur confesseur. Car il se trouve que le fils,
qui entre rampant sur scène, dans un sale état, revient d’Afghanistan et ne
retrouve que des parents anesthésiés par le déversement de séries américaines
et de publicités. Malgré l’amour que les parents tentent de conserver pour leur
fils et que le fils essaie désespérément de retrouver en lui, Pamela leur
prédit une prophétie macabre dans laquelle le fils devra errer et finira par
tuer son père et épouser sa mère… Cela vous rappelle quelque chose ?
Après un huis clos pénible pour eux qui nous apprend ce
qu’on savait déjà : le père et la mère ont fini par se détester, et le
fils doit de nouveau quitter le domicile dominical et va se jeter dans son
propre destin tragique. Une fois finie la ‘comédie domestique’ selon
l’expression du metteur en scène, Pierre Notte, Pamela, la trans’ narratrice,
nous guide dans un monde faits de références télévisuelles autant que de
tragédies antiques. Une gageure dramatique, une prouesse textuelle.
Le jeune homme dénommé l’Enfant traverse ainsi le
cauchemar de son père, qui apparait en roi barbare à abattre, puis celui de la
mère, Première Dame aussi aigrie que cruelle d’une malheureuse ‘cité nouvelle’,
qu’il faudra bien épouser pour tenter de fonder une nouvelle société. Car le
cauchemar qui hante l’Enfant - les horreurs de la guerre et le matérialisme poussé à l’extrême de
la société qui l’y a envoyé - ne
trouve pas de repos auprès des autres êtres humains, même les plus chers.
Dramaturge et scénariste boursier du Centre National de
Cinématographie et du Centre National du Livre, ainsi que lauréat du Prix
Théâtre de la Fondation Diane et Lucien Barriere pour Kalashnikov justement, Stéphane Guérin ne fait pas mentir ses
médailles. Il ose tout aussi, obscénité, violence verbale, humour crasse et
poétique, références incestueuses ou triomphe de l’asexué, propos racistes
rapportés et citations des feuilletons télé les plus vidés d’ambition, avec une
légèreté et une énergie proprement scénique qui donne à Pierre Notte une
baguette magique pour faire rire avec le pire. Car ‘les guerres sont
permanentes à l’intérieur de nous’, constate le fils, et tout enfant nait empli
des horreurs du monde, leur explique la trans’ Pamela / Youssouf. Une fable qui
veut que celui qui cherche à retrouver l’innocence se doit de d’abord passer
par un voyage initiatique, à ses risques et périls. Et après, advienne que
pourra… Du théâtre qui a du génie !
Mélissa Chemam
Informations Pratiques
Lieu : Théâtre du Rond Point, 2bis, avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris
Horaire: Du 30 mai au 30 juin, 20h30 sauf lundi, Salle Roland Topor.
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