Attentat à Djibouti: «Il y a un échec politique américain»
Une escouade de Marines à l'entraînement dans le Camp Lemonnier à Djibouti en 2003.Photo: Corporal Matthew J. Apprendi (USMC)
Les islamistes somaliens shebabs ont revendiqué, hier, l'attentat-suicide perpétré samedi 24 mai dans un restaurant de Djibouti. Outre les deux kamikazes - un homme et une femme dont l'identité et la nationalité restent inconnues selon les autorités djiboutiennes - l'attaque a tué un Turc et fait au moins une vingtaine de blessés, dont sept Français. Les shebabs affirment avoir visé un « restaurant fréquenté surtout par des croisés français et leurs alliés de l'Otan », affirmant notamment avoir visé les Français pour « leur complicité dans les massacres » de musulmans en Centrafrique et pour « leur rôle actif dans la formation et l'équipement des troupes djiboutiennes en Somalie ainsi que leur intervention croissante dans les affaires (des) terres musulmanes ». Les islamistes somaliens ont également appelé le président djiboutien Ismail Omar Guelleh à retirer les troupes djiboutiennes de Somalie.
Pour Roland Marchal, chargé de recherches au Ceri (Sciences Po) et spécialiste de la Corne de l'Afrique, l'attaque s'inscrit dans un phénomène de régionalisation des activités du groupe islamiste et révèle son évident retour en force : « Depuis un an, on a un mouvement massif de régionalisation. C’est une dynamique qui existait auparavant, notamment depuis 2010 et les attentats à Kampala. Le fait que Djibouti soit visé n’est pas réellement surprenant au sens où les forces djiboutiennes sont présentes en Somalie alors qu’elles ne le sont pas dans la capitale, elles sont dans la ville de Beledweyne à la frontière avec l’Ethiopie. »
Derrière tout cela, poursuit encore Roland Marchal, « il y a aussi une certaine ironie qui vise un Etat qui vit quand même de la rente internationale sur le terrorisme, à la fois par la présence américaine puisque vous avez depuis des années maintenant, une importante concentration en termes de moyens de la CIA et de forces spéciales, puis également les Français qui, même si on les entend moins et on commente moins leur activité, restent quand même très intéressés à ce qui se passe dans toute cette zone au point de vue du terrorisme. »
« Force de frappe »
Pour ce chargé de recherches au Ceri, « les islamistes shebabs démontrent ainsi une fois de plus leur force de frappe après l'attaque contre le centre commercial Westgate en Somalie et des attaques régulières à Mogadiscio ou encore Mombassa, une recrudescence alimentée par une stratégie occidentale erronée car militariste. »
« Si les Européens avaient un semblant de politique étrangère digne de ce nom sur la Somalie, critique M. Marchal, ils se tourneraient vers les Etats-Unis et demanderaient comment un groupe qui pendant des années s’est concentré sur des objectifs purement somaliens a réussi à s’internationaliser alors que les Etats-Unis, à coups de drone, d’opérations de forces spéciales et d’interventions de la force de l’Union africaine n’ont cessé de prédire leur mort prochaine. Il y a un échec politique américain, il y a une incapacité des Occidentaux mais aussi de l’Union africaine d’évaluer pourquoi cet échec se produit et pourquoi la politique occidentale, parce que c’est elle qui dicte essentiellement celle de l’Union africaine vis-à-vis de la Somalie, est un échec. »
« Pompiers pyromanes »
«Là, insiste Roland Marchal, il faut quand même s’interroger sur les réflexes de pompiers pyromanes d’une partie de la communauté internationale et le fait que, alors que beaucoup de gens reconnaissent que les Etats-Unis se sont égarés et qu’il serait temps de réfléchir autrement, personne n’ose le dire ouvertement et obliger les Etats-Unis à repenser leur politique sur la Somalie et à avoir une démarche un peu plus politique et un peu moins militaire comme ils l’ont aujourd’hui. »
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