01/05/2016

Pop after Prince


Intéressantes questions soulevées par Slate.fr :


Le vertige d’une disparition est un poison quand il oriente vers le passéisme. Que dira-t-on quand il nous faudra enterrer Bob Dylan, Madonna, Stevie Wonder, Bruce Springsteen, Mick Jagger, Paul McCartney, Bono ou Patti Smith : la même chose que pour Prince et Jackson en encore plus alarmiste? Que dira-t-on, bien plus tard de Björk, Thom Yorke, des Daft Punk, des Massive Attack, de Bono? Que c’était vraiment, mais alors vraiment et définitivement mieux avant?

Lien :
http://www.slate.fr/story/117437/prince-bowie-jackson-mieux-avant


Le buzzPrince est mort, vive la pop






Deux des plus grands passeurs de son de l’histoire de la pop ont disparu à espaces rapprochés en 2016, David Bowie puis Prince. La mort du Kid de Mineapolis intervient aussi «peu» après celle de Michael Jackson. Cette proximité-là se discute davantage. Elle doit beaucoup à l’émotion collective, mais elle se défend: les superstars masculines des années 1980 auront abandonné, à «même pas» six ans de différence, des millions de fans ébahis, avant l’âge officiel de la retraite, qui n’existe pas pour ce beau métier, comme Paul McCartney continue de le montrer sur toutes les scènes du monde à 73 ans.
Pour saisir la pertinence du rapprochement entre les deux stars, il faut se souvenir que la diffusion du documentaire Doctor Prince and Mister Jackson, sur la rivalité entre les deux hommes, conçu de leur vivant, avait été avancée suite au décès de Jackson en 2009. L’heure de le visionner est définitivement atteinte.
Quel qu’ait pu être le lien intime tissé avec leur musique, le même mécanisme se met à l’œuvre quand des personnages aussi importants disparaissent. D’un coup, on ne les regarde plus comment avant, et surtout on les écoute plus comme avant. De leur vivant, nous avions des superstars respectées mais toujours évaluées dans tout ce qu’elles entreprenaient, qu’il s’agisse de musique, d’image marketing ou de comportements publics. La mort consommée, ne restent que les bons souvenirs et l’envie de plonger dans une œuvre désormais aboutie. Le tout dicté par un sentiment de proximité sans précédent. «Le public se réjouit de la mort d’une pop star, a osé Richard Mèmeteau, (auteur de Pop culture: Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités), cette semaine sur France Culture. La pop star, cet ego gonflé par la célébrité, doit redevenir ce qu’elle était, c’est-à-dire un homme.»
Prenons l’exemple du solo de guitare délivré par Prince en 2004 sur le «While My Guitar Gently Weeps» en hommage à George Harrison, pour l’entrée de l’ex-Beatle au Hall of Fame. À l’époque, j’avais conçu une forme de tristesse à voir Prince conduire ce solo vers une démonstration en mode «tripoteur de manche»(pour rester poli). Au-delà même de l’appréciation esthétique que l’on peut exprimer pour ce type de performance très technique (je fais partie des sceptiques), elle démontrait une incompréhension du propos tenu par Harrison avec cette chanson. Gently weeps, «pleurer doucement», ou «sangloter délicatement», n’est pas le déchaînement démonstratif de Prince. Au lendemain de la disparition de l’artiste, d’autres sensations dominent en visionnant la séquence: la prestance invraisemblable du showman, le niveau du musicien virtuose, la certitude que ce moment restera plutôt pour de bonnes raisons.
Avec la mort des grands artistes, l’idée fait son chemin que l’humanité vient de perdre des personnes irremplaçables (c’est exact) et avec eux, une certaine idée de la capacité de la musique à parler du monde. Là, le terrain devient glissant, car la musique et la pop restent au-dessus des personnes qui en ont assumé le leadership. Francis Dordor a conclu son superbe article-hommage dans Les Inrocks sur la «majesté» qui manque à notre époque, comparée à celle du zenith Prince. D’autres –sur les réseaux sociaux notamment - ont communiqué sur le contraste saisissant entre les années 1980 florissantes et notre XXIesiècle présumé plus fade. C’est le versant le plus discutable de ces deuils en mondovision.
Le vertige d’une disparition est un poison quand il oriente vers le passéisme. Que dira-t-on quand il nous faudra enterrer Bob Dylan, Madonna, Stevie Wonder, Bruce Springsteen, Mick Jagger, Paul McCartney, Bono ou Patti Smith: la même chose que pour Prince et Jackson en encore plus alarmiste? Que dira-t-on, bien plus tard de Björk, Thom Yorke, des Daft Punk, des Massive Attack, de Bono? Que c’était vraiment, mais alors vraiment et définitivement mieux avant?
Dans les années 2010, les disques ne se vendent plus au supermarché, MTV et le Top 50 ont égaré leur influence, les magazines contribuent moins à la notoriété et au mystère qui caractérise les stars du rock. Jackson et Prince ont su nourrir cette industrie de leur talent visionnaire. Cela ne signifie pas que la génération YouTube, Spotify et des show encore plus élaborés doivent rougir du renouvellement qu’ils incarnent au détriment de ces superstars qui, autant être clair, avaient clairement décroché.
Si aucune figure n’écrase l’époque comme eux à la leur, c’est en bonne partie parce que le choix entre les propositions artistiques est sans égal aujourd’hui. Et encore: reste à prouver que nous avons le recul nécessaire pour être certain que l’impact de Rihanna, Pharell Williams, Kanye West, Beyoncé ou Eminem sur les consommateurs de musique d’aujourd’hui est inférieur à celui de Prince et de Michael Jackson.
La mort par assassinat de John Lennon, le 8 décembre 1980, reste probablement à ce jour la secousse la plus violente ressentie par la planète suite à la disparition soudaine d’une pop star. Tout concordait: l’absurdité de l’acte (meurtre sans mobile sérieux), la jeunesse de la star (40 ans), son influence planétaire («Imagine», la campagne War is Over), son impact sur le cours de l’histoire de la musique (on parle du fondateur des Beatles) et le lieu de la disparition (New York, capitale mondiale des médias de masse). Des millions de personnes observèrent en simultané dix minutes de silence à différents endroits de la planète; plus de 200.000 à New-York.
La mort de Lennon s’est produite un an après la disparition d’Elvis Presley, hors-jeu depuis très longtemps, mais figure tutélaire d’un genre –le rock– qui avait bouleversé le siècle musical comme seuls les Beatles purent le faire ensuite.
La tristesse était déjà une émotion légitime et le passéisme une tentation à fuir. En 1980, Michael Jackson et Prince débutaient à peine leur travail de redéfinition de la pop. Ils avaient 22 ans.
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