LE RETOUR AU DÉSERT :
KOLTÈS ET LA GUERRE D’ALGÉRIE VUE DE FRANCE … UN 13 NOVEMBRE 2015
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Avant sa présentation au Théâtre de la Ville à Paris, en janvier 2016, Le Retour au désert de Koltès, mis en scène par Arnaud Meunier, a été présenté au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, vendredi 13 novembre. Une soirée difficilement oubliable : deux grands acteurs, Catherine Hiegel et Didier Bezace se font face sur le thème de l’Etat d’urgence, intime comme politique.
Un vendredi soir doux et automnal de novembre, une navette attend près du Théâtre de la Ville les futurs spectateurs de la nouvelle pièce de la grande salle parisienne dont la première a lieu à Vitry-sur-Seine, ce 13 novembre.
Le public est enthousiaste. La salle bondée. La pièce de Bernard-Marie Koltès a été créée au Théâtre Renaud-Barrault en septembre 1988 dans le cadre du Festival d’automne à Paris, et jouée à la Comédie Française en 2007. Elle traite de la Guerre d’Algérie vue de France à travers des retrouvailles familiales houleuses, dans une ville de province. Le frère, Adrien, vit dans une villa cossue et prospère grâce à l’héritage de son père, dont l’usine peu éloignée. Lorsque sa sœur, Mathilde, revient d’Algérie en 1960, il est obligé de reconnaître les règles édictées par le testament paternel : s’il possède bien l’usine, la maison revient à sa sœur aînée. Mais bientôt ce problème devient le cadet de leurs soucis. Mathilde a deux enfants, Edouard et Fatima, qui ont grandi en Algérie et qu’elle est loin d’avoir élevés comme Adrien a élevé son fils, Matthieu, prostré entre la maison et jardin. A l’image de cette éducation étriquée, toute la ville ressemble pour ces « Algériens » à un carrefour de l’ennui.
Après cette installation, la femme de maison, Mme Queuleu, et l’homme de ménage, Aziz, voient l’équilibre de leurs paisibles journées bouleverser par les querelles incessantes de la sœur et du frère. La où Mathilde, merveilleusement portée par la grande Catherine Hiegel, est flamboyante, colérique et plus que vivante, Adrien – interprété par Didier Bezace – est petit joueur, prudent voire peureux. Mais surtout, à l’image de la France de cette époque, les deux pans de la famille voient leurs valeurs s’antagoniser de plus en plus. Adrien croit en la France des villes de province, dans les normes sociales et le pouvoir absolu de la richesse. Il est ainsi répugné lorsqu’il découvre le prénom de la fille de sa sœur : Fatima. Il se propose d’emblée de la rebaptiser ‘Caroline’. Mathilde, chassée de la maison à la découverte de sa première grossesse, hait quant à elle cette cité de garnison, où les jardins ne sont jamais sûrs la nuit parce que les soldats peuvent sauter par dessus les murs censés les protéger… Mais la situation se complique encore quand Matthieu doit être envoyé au front, en Algérie.
Une Guerre qui ne dit pas son nom, entre tragédie et comédie
Tragi-comédie familiale, mise ici en scène par un Arnaud Meunier plein d’énergie et amoureux du texte, Le Retour au désert est une chronique des conséquences de ce que personne n’ose à l’époque appeler la ‘Guerre d’Algérie’ sur la France métropolitaine. Alors qu’Edouard trompe sa nostalgie de l’Algérie dans le Café Saïfi, où il entraîne bientôt Matthieu, Fatima se meurt de froid, parle au fantôme de la femme d’Adrien, et se noie dans les regrets. Pendant ce temps, le patriarche Adrien et les grands bourgeois de la ville préparent un attentat contre ce même café, « rempli d’arabes »…
Il est autour de 21 heures 30, ce vendredi 13 novembre 2015, lorsque retentit sur la scène du Théâtre Jean Vilar l’explosion orchestrée contre le Café Saïfi. La principale victime en sera Aziz, le domestique arabe sans avenir. Pendant ce temps, à Paris, d’autres attaques sont perpétrées réellement contre des lieux de vie quotidienne : le Stade de France, le Bataclan et des terrasses de café. La réalité dépasse parfois la fiction. Ou la fiction prédit trop bien la réalité… Quand elle est inspirée d’une histoire trop souvent, trop vite, enterrée.
Bernard-Marie Koltès a expliqué en 1988 que cette pièce est inspirée de souvenirs d’enfance, liés au retour de son père, officier, de la même guerre, et à son regard de jeune adolescent sur les attentats de l’OAS. « Il y avait cette violence-là, à laquelle un enfant de douze ans est sensible et à laquelle il ne comprend rien. C’est probablement ce qui m’a amené à m’intéresser davantage aux étrangers qu’aux Français. J’ai très vite compris que c’était eux le sang neuf de la France, que si la France vivait sur le seul sang des Français, cela deviendrait un cauchemar, la stérilité totale sur le plan artistique et sur tous les plans », a-t-il conclu.
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Le Retour au désert, De Bernard-Marie Koltès, Mise en scène par Arnaud Meunier. En tournée en salles cet automne. Au Théâtre de la Ville du 20 au 31 janvier 2016.
visuel : photo officielle DR
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