Ma critique pour Toute la Culture :
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LA FOLIE DE PLATONOV EN VALSE PHILOSOPHIQUE PAR PORÉE AUX ATELIERS BERTHIER
Texte foisonnant, pièce monde, philosophique et réconciliant tragique et comique, Ce Fou de Platonov de Tchekhov nous est offert sur le plateau d’argent de l’immense scène des Ateliers Berthier dans une mise en scène ultra-esthétique, inaboutie mais ravissante de Benjamin Porée. Difficile de se decrocher de ces quatre heures vingt de spectacle consacrées aux valses hésitations amoureuses comme métaphysiques de l’anti-héros par excellence des dernières décennies de la Russie tsariste.
Note de la rédaction :
D’abord, il a l’espace de la scène des Ateliers Berthier, recréant ici le monde délicat des datchas russes de province, un jardin en été, des chaines et les bruits d’un buffet qui se prépare, dès la deuxième scène, le décor plante un petit univers fin de siècles avec tout ce qu’il peut charrier de drames.
Puis arrive la foultitude de personnages, les acteurs nous proposent les êtres et leurs surnoms, comme des rôles encore même démultipliés : Joseph Fourez, gravement, est Mikhail qui est Michka ou Platonov, littéralement ‘celui sans père’, en russe, dès ses premier mot, relatant la mort de son père. Avec son père est mort le temps de l’insouciance, de l’enfance passée au sein de un grand domaine de province. Elsa Granat est grandement Anna Petrovna, « la Générale », jeune veuve obligée de vendre ses mines et sa demeure pour en garder l’usufruit, désirée par tous, lasse de la vie, mais riche de son amitié amoureuse avec le même Platonov, que sa femme, Sacha (douce et discrète Macha Dussart), gentille mais simple, trop simple, ne comble guère. Et puis il y a la belle et prometteuse Sofia Iegorovna, l’amour de jeunesse de Platonov, mal mariée au beau-fils d’Anna, que Sophie Dumont incarne dans toutes les contradictions du personnage. C’est Anna qui fait tourner tout ce beau monde en invitant ses amis, comme chaque été, à une soirée de fête de son beau jardin…
Et puis bien sûr, il y a ce texte magnifique, si riche, à cette histoire incroyable. Tchekhov écrivit ce « brouillon absolu » à 18 ans, entre 1878 et 1880, mais refusée et délaissée pendant des décennies avant d’être redécouverte après sa mort.
Et puis bien sûr, il y a ce texte magnifique, si riche, à cette histoire incroyable. Tchekhov écrivit ce « brouillon absolu » à 18 ans, entre 1878 et 1880, mais refusée et délaissée pendant des décennies avant d’être redécouverte après sa mort.
Pièce en deux temps, de l’extérieur à l’intérieur
Benjamin Porée fait de ce mélange une alchimie poétique de 4 heures 20, pendant lesquels les dialogues sonnent juste tout du long, même si un peu étouffés. Le rythme lent ne cache pourtant pas la complexité d’une pièce mélancolique mais follement gaie, lyrique mais pleine de seconds degrés. La scène de la danse au cours de la fête de la Générale – Anna – en est un parfait exemple : entourés d’une dizaine de figurants, la quinzaine d’acteurs principaux (un de défi de la mise en scène de ce texte) se laisse vivre, brouillone d’élégance et de jouissance. Nous sommes au cœur de l’été russe fin XIXème…
Derrière le trilemme amoureux de Platonov se tapit les choix d’une jeunesse vieille avant l’âge, qui voit monter les idées révolutionnaires tout en rêvant de conserver ses privilèges bourgeois, qui veut croire à un idéal à l’instar de Sofia, mais rongée par le doute qui fait vivre et mourir Platonov, symbiose tchékhovienne de Don Juan et Hamlet, qui déclare dès le premier acte : « le bonheur de l’homme, ça ne fait que vous passer sur les lèvres ». Hamlet qui devient d’ailleurs cette mise en scène la transition entre le monde de l’extérieur (celui du jardin et du jeu social) et celui de l’intérieur (la maison de Michka, celle de Sofia, leur tentative d’amour).
Et même si l’on souhaiterait voir le jeu d’acteurs poussé encore plus loin dans les passions, les rires, les crises, les esclandres, la mise en scène de Benjamin Porée donne toute sa dimension à des dialogues particulièrement riches et complexes, contenant déjà tout Tchekhov ! La première partie reste un peu déséquilibrée par rapport à la seconde, après l’entracte, ce qui nuit un peu à la montée dramatique, et essouffle légèrement les acteurs (les actrices surtout), dans une diction d’abord un peu figée. Mais la force de frappe de Joseph Fourez et Elsa Granat s’y expose malgré tout avec une justesse impressionnante. Ce spectacle est une gageure mais surtout une véritable ode à la pièce d’Anton Tchekhov.
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