Mali : Une élection sous influence française, cautionnée par l’Union Européenne et l’ONU
Les Maliens sont convoqués le 28 juillet pour élire leur président de la République. L’association Survie dénonce les pressions des autorités françaises et des autres puissances qui dictent aux autorités maliennes les conditions et la date du scrutin.
Alors que ces élections sont censées viser le retour à un ordre institutionnel stable, de nombreux éléments remettent en cause sa crédibilité :
- la situation à Kidal est instable [1]. L’accord de Ouagadougou du 18 juin 2013, imposé au gouvernement malien par intérim, a abouti sur un retour symbolique de 150 soldats maliens, fortement encadrés par les troupes françaises et les casques bleus et d’une partie de l’administration malienne, et un regain de tensions.
- le vote des déplacés, des réfugiés, et de très nombreux Maliens est compromis [2].
- des soupçons de fraude sur la base de cartes électorales sans photographie (un marché français) se font déjà entendre, y compris par un des favoris de l’élection, Soumaïla Cissé.
De très vives critiques ont été émises, tant par les plus hautes autorités maliennes, que des partis politiques et la société civile [3], pointant notamment l’ingérence et les pressions françaises. La France et la communauté internationale restent sourdes et, malgré les préoccupations des Maliens, travaillent à imposer la mascarade.
Pour les autorités françaises, ces élections sont l’aboutissement d’une séquence d’ingérence politique, militaire et diplomatique dans la résolution de la crise malienne [4], totalement décomplexée.
Le 28 mars, François Hollande déclarait dans son allocution télévisée qu’il serait "intraitable" sur la tenue des élections maliennes : les autorités françaises font de ces élections leur question, et ont déjà admis que le taux de participation serait peu élevé. Le ministre Pascal Canfin l’assume : « le taux de participation est traditionnellement faible dans le pays , oscillant entre 20% et 30% [il était en fait de 36% à l’élection de 2007]. (..) Si dans le contexte actuel, avec le très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, on arrivait à 30%, ce serait un succès. »" [5] !
Après avoir souligné les risques d’une telle élection [6], Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, est finalement prêt à les cautionner, laissant une fois de plus l’ONU servir d’écran de fumée aux intérêts français en Afrique. Il a ainsi déclaré lors d’un point de presse le 15 juillet "que les résultats – même si les élections peuvent être imparfaites – doivent être respectés par les parties, toutes les parties."
L’Union Européenne s’est aussi préparée à cautionner cette élection, en la finançant à hauteur de 17 millions d’euros et en y envoyant une mission d’observation électorale, qui ne se rendra pas dans les 3 régions du Nord du pays, et qui est présidée par le parlementaire Louis Michel, connu pour sa caution à des élections truquées, comme récemment lors des élections législatives au Tchad (2011).
Annulant la procédure d’appel d’offre, le gouvernement malien a attribué le marché des cartes électorales de manière discrétionnaire à Morpho Safran, société possédée à 30% par l’Etat français pour plus de 13 millions d’euros. Un contrat juteux qui augure d’un "marché de la reconstruction" qui saura bénéficier aux entreprises françaises.
Alors que les élections sont censées se faire dans un contexte de paix et de maîtrise du territoire, les "accords" de Ouagadougou maintiennent dans le flou la question du désarmement : cantonnement et non désarmement des groupes armés, mise sur pied d’équipes mixtes de sécurité, redéploiement très restreint de l’armée nationale et de l’administration. La France et la communauté internationale remettent notamment le désarmement des groupes rebelles et la résolution de la crise au lendemain d’une élection faussement présentée comme le gage d’un nouveau départ pour le Mali.
L’association Survie exige la fin de l’ingérence française au Mali et le retrait des 3200 soldats français toujours présents au Mali. Survie exhorte la France et l’Union européenne de cesser toute pression sur les autorités maliennes, dans le cadre de cette élection et par la suite.
[1] Des violences provoquant la mort de plusieurs civils ont eu lieu la semaine du 15 juillet, à 10 jours de l’élection présidentielle, compromettant la tenue du scrutin dans la zone.
[2] Le fichier à partir duquel sont constituées les listes n’est pas exhaustif (il y manque des villages, l’inscription des jeunes majeurs) et les autorités n’ont pas été en mesure de distribuer toutes les cartes électorales. Nombre de Maliens vivant en France, inscrits sur les listes, ne pourront pas non plus voter.
[3] Ainsi, le président de la CENI émettait des doutes sur le scrutin le 28 juin 2013 ( http://maliactu.net/soumaila-cisse-... ) et le Président de la République par intérim confirmait que "Le délai souhaité par certains ne permettra pas de résoudre les problèmes techniques" (http://www.lesechos.fr/economie-pol... ) ; on peut aussi évoquer les critiques de Tiebele Drame, négociateur de l’accord de Ouagadougou, qui a retiré sa candidature en qualifiant Laurent Fabius de "directeur des élections au Mali" (http://maliactu.net/tiebile-drame-j... ) .
[4] Voir à ce propos l’ouvrage collectif de Survie, La France en guerre au Mali – enjeux et zones d’ombre, qui sera publié le 22 août aux Editions Tribord. Les principales séquences ce cette ingérence sur les suivantes : résolutions à l’ONU en faveur d’une intervention militaire, lancement de l’opération Serval - sans mandat multilatéral, imposition d’une feuille de route aux institutions maliennes fin janvier 2013, organisation d’une conférence sur le financement de la reconstruction du Mali coprésidée par la France et l’Union européenne, pressions pour imposer une médiation avec certains groupes armés au Nord en amont des élections…
[5] Pascal Canfin déclarait le 22 mai devant la Commission des Affaires Etrangères de l’Asssemblée Nationale, en assumant le rôle français d’organisation de l’élection présidentielle : « Un bon indicateur sera la participation. S’il faut bien entendu d’abord que les gens puissent voter – c’est le sens de notre travail sur la gestion des listes électorales –, encore faut-il qu’ils le souhaitent. Nous travaillons, en lien avec le PNUD, à mobiliser la société malienne autour de ces élections. Le taux de participation est traditionnellement faible dans le pays, oscillant entre 20% et 30%. Si dans le contexte actuel, avec le très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, on arrivait à 30%, ce serait un succès ».
[6] "En l’absence de réconciliation, il ne peut guère y avoir de débat politique constructif et des élections risqueraient d’exacerber l’instabilité, voire de donner lieu à des violences. [...] il sera extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, d’organiser un scrutin libre et pacifique dans le nord, en particulier dans les camps de réfugiés et chez les déplacés." Rapport S/2013/189 (26 mars) du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali.
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