Pour RFI. fr
« Cette menuiserie est dans ma famille depuis 1938 », raconte Khaled Mahiout entre sa machine à polir le bois et ses planches de hêtre. « La maison est un ancien bar que mon père a racheté et transformé avec un associé à l’époque, grâce à un arrangement de paiements à échéances, et depuis nous vivons à La Casbah », continue-t-il, le sourire dans la voix.
Formé par son père dès ses 14 ans, Khaled forme aujourd’hui deux de ses fils à la restauration des meubles anciens algérois, un art en perdition dans la citadelle séculaire de la capitale algérienne. Sa boutique est connue jusqu’au delà de la Méditerranée, comme l’atteste le passage d’une femme française qui a grandi en Algérie et, depuis quelques années, revient régulièrement visiter Alger. Pour y arriver, il faut entrer dans la Haute Casbah, par la Rue Sidi Idriss Hamirouche. Et touristes comme voisins sont les bienvenus dans cet atelier où vit encore l’artisanat tel que né au XIXème siècle d’un mélange d’influences turques et locales.
Citadelle historique mais délaissée
Mais cette citadelle souffre de décennies de négligences et de pauvreté. La Casbah s’étend sur 105 hectares et plus d'un millier de maisons s’y érigent toujours, selon des estimations. L'Unesco a décerné en 1992 la distinction de « valeur exceptionnelle » à la médina algéroise soulignant son « système complexe et original qui s'est adapté (...) à un site fortement accidenté », reposant sur le flan d'une colline de 118 mètres de dénivelé.
Mais malgré des fonds versés par l’organisation des Nations unies au gouvernement algérien, peu de mesures ont été prises par les autorités algériennes pour préserver cet héritage architectural, artisanal et humain, et pour beaucoup, trop tardivement. Selon Abdelwahab Zekkar, le directeur de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés (OGBC), le plan de sauvegarde a été lancé en janvier 2007 seulement, et les études se sont terminées en mai 2010, trois ans plus tard.
La Casbah reste une ville dans la ville. Sa citadelle date du XVIème siècle, des frères Barberousse, premiers souverains de l’époque ottomane, ainsi que nombre de ses mosquées, palais, hammams et petites maisons. Mais elle a subi à la fois tremblements de terre, incendies, inondations et délaissement. Certaines de ses constructions ont alors tout simplement été détruites.
Une des explications de ce désintérêt de l’Etat algérien pour ce site rare : la guerre civile des années 1990, pendant laquelle les ruelles tortueuses de la Casbah ont servi de repaire pour les islamistes, comme elles l’avaient déjà été dans les années 1950 pour les indépendantistes du FLN. Cette période a alors laissé aux habitants la possibilité de transformer les lieux, dégradés par des constructions anarchiques et précaires.
Vivre entre préservation et quotidien
A présent, la surpopulation et l'insalubrité sont rampantes et de nombreuses maisons s'écroulent. Mais ses habitants refusent de quitter la Casbah et essaient malgré les obstacles de préserver son mode de vie unique et les traditions qui y sont nées, comme Khaled Mahiout, dont les services sont prisés jusque dans les musées algérois comme le Bastion 23, ancien palais du Dey d’Alger – un des plus importants monuments historiques de la ville – et le fameux Musée du Bardo.
Farid Smaallah est un jeune peintre, artisan dessinateur. A 30 ans, il a investi dans sa propre boutique qui restore des vieux meubles et objets de décoration en bois faits à la main dans la Casbah. Rue Hahad Abdemezak, sa petite boutique se remarque aux motifs fleuris et colorés de ses œuvres en vitrine. Son travail, appris auprès du maître de la restauration Mustapha Benbaba, lui a valu de participer à la rénovation des plafonds de l’aéroport international Boumediene d’Alger. « Je n’ai pas pu finir mes études, dans les années 1990, mais j’ai voulu avoir mon propre commerce », raconte Farid, les yeux brillants. « Je n’ai pas eu d’aides de l’Etat, mais je pense que c’est à nous, habitants de notre Casbah, de se battre pour préserver nos traditions ».
Pour Mohamed Arezki Himeur, guide et journaliste en préparation d’un livre sur Alger, « même si 10 milliards ont officiellement été dépensés pour la préservation de la Casbah, rien n’a été amélioré, et il n’y a pas de plan d’architecte spécialisé digne de ce nom. Ce qui est clair c’est que cela révèle le manque de volonté politique ». La preuve : les constructions en brique illégales qui pullulent anarchiquement sur les toits des maisons historiques de la Citadelle.
L’espoir du tourisme ?
Pour l’instant, les artisans qui défendent par amour leur citadelle sont donc le principal espoir de la Casbah. Ils en appellent aussi aux touristes. C’est aussi le cas de Khaled Mahouit, qui restaure lui-même sa bâtisse de trois niveaux – dont le toit offre une vue panoramique sur la baie d’Alger – pour en faire une maison d’hôte : « Ma femme fait une cuisine typique de la Casbah, délicieuse. A nous deux, nous voulons accueillir des visiteurs étrangers et partager l’héritage de notre quartier natal. »
ALGÉRIE -
Article publié le : lundi 25 novembre 2013 à 13:57 - Dernière modification le : lundi 25 novembre 2013 à 14:01
A Alger, les artisans de la Casbah tentent de sauver leur héritage
« Cette menuiserie est dans ma famille depuis 1938 », raconte Khaled Mahiout entre sa machine à polir le bois et ses planches de hêtre. « La maison est un ancien bar que mon père a racheté et transformé avec un associé à l’époque, grâce à un arrangement de paiements à échéances, et depuis nous vivons à La Casbah », continue-t-il, le sourire dans la voix.
Formé par son père dès ses 14 ans, Khaled forme aujourd’hui deux de ses fils à la restauration des meubles anciens algérois, un art en perdition dans la citadelle séculaire de la capitale algérienne. Sa boutique est connue jusqu’au delà de la Méditerranée, comme l’atteste le passage d’une femme française qui a grandi en Algérie et, depuis quelques années, revient régulièrement visiter Alger. Pour y arriver, il faut entrer dans la Haute Casbah, par la Rue Sidi Idriss Hamirouche. Et touristes comme voisins sont les bienvenus dans cet atelier où vit encore l’artisanat tel que né au XIXème siècle d’un mélange d’influences turques et locales.
Citadelle historique mais délaissée
Mais cette citadelle souffre de décennies de négligences et de pauvreté. La Casbah s’étend sur 105 hectares et plus d'un millier de maisons s’y érigent toujours, selon des estimations. L'Unesco a décerné en 1992 la distinction de « valeur exceptionnelle » à la médina algéroise soulignant son « système complexe et original qui s'est adapté (...) à un site fortement accidenté », reposant sur le flan d'une colline de 118 mètres de dénivelé.
Mais malgré des fonds versés par l’organisation des Nations unies au gouvernement algérien, peu de mesures ont été prises par les autorités algériennes pour préserver cet héritage architectural, artisanal et humain, et pour beaucoup, trop tardivement. Selon Abdelwahab Zekkar, le directeur de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés (OGBC), le plan de sauvegarde a été lancé en janvier 2007 seulement, et les études se sont terminées en mai 2010, trois ans plus tard.
Une des explications de ce désintérêt de l’Etat algérien pour ce site rare : la guerre civile des années 1990, pendant laquelle les ruelles tortueuses de la Casbah ont servi de repaire pour les islamistes, comme elles l’avaient déjà été dans les années 1950 pour les indépendantistes du FLN. Cette période a alors laissé aux habitants la possibilité de transformer les lieux, dégradés par des constructions anarchiques et précaires.
Vivre entre préservation et quotidien
A présent, la surpopulation et l'insalubrité sont rampantes et de nombreuses maisons s'écroulent. Mais ses habitants refusent de quitter la Casbah et essaient malgré les obstacles de préserver son mode de vie unique et les traditions qui y sont nées, comme Khaled Mahiout, dont les services sont prisés jusque dans les musées algérois comme le Bastion 23, ancien palais du Dey d’Alger – un des plus importants monuments historiques de la ville – et le fameux Musée du Bardo.
Farid Smaallah est un jeune peintre, artisan dessinateur. A 30 ans, il a investi dans sa propre boutique qui restore des vieux meubles et objets de décoration en bois faits à la main dans la Casbah. Rue Hahad Abdemezak, sa petite boutique se remarque aux motifs fleuris et colorés de ses œuvres en vitrine. Son travail, appris auprès du maître de la restauration Mustapha Benbaba, lui a valu de participer à la rénovation des plafonds de l’aéroport international Boumediene d’Alger. « Je n’ai pas pu finir mes études, dans les années 1990, mais j’ai voulu avoir mon propre commerce », raconte Farid, les yeux brillants. « Je n’ai pas eu d’aides de l’Etat, mais je pense que c’est à nous, habitants de notre Casbah, de se battre pour préserver nos traditions ».
Pour Mohamed Arezki Himeur, guide et journaliste en préparation d’un livre sur Alger, « même si 10 milliards ont officiellement été dépensés pour la préservation de la Casbah, rien n’a été amélioré, et il n’y a pas de plan d’architecte spécialisé digne de ce nom. Ce qui est clair c’est que cela révèle le manque de volonté politique ». La preuve : les constructions en brique illégales qui pullulent anarchiquement sur les toits des maisons historiques de la Citadelle.
L’espoir du tourisme ?
Pour l’instant, les artisans qui défendent par amour leur citadelle sont donc le principal espoir de la Casbah. Ils en appellent aussi aux touristes. C’est aussi le cas de Khaled Mahouit, qui restaure lui-même sa bâtisse de trois niveaux – dont le toit offre une vue panoramique sur la baie d’Alger – pour en faire une maison d’hôte : « Ma femme fait une cuisine typique de la Casbah, délicieuse. A nous deux, nous voulons accueillir des visiteurs étrangers et partager l’héritage de notre quartier natal. »
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