'Par les villages' – Colline – Handke / Nordey
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Spectacles /
Théâtre / Par les villages
9 novembre 2013
Par Mélissa
Chemam
Sur Toutelaculture.com : http://toutelaculture.com/spectacles/theatre/nordey-recree-les-villages-de-peter-handke-sur-la-scene-de-la-colline/
Stanislas Nordey recrée 'les villages' de Peter Handke sur
la scène de La Colline
Reprise à Paris au théâtre de la Colline du spectacle qui
a ouvert le dernier Festival d’Avignon. Trois heures trente, un entracte, un récit passionnant
enlaçant des monologues dignes du plus beau théâtre antique ou romantique, et
moment de poésie pure, la pièce de Peter Handke repose avant tout sur un texte
époustouflant. Stanislas Nordey, qui interprète également le rôle du frère
cadet Hans, lui donne un souffle épique avec une mise en scène juste et
bouleversante.
© Elisabeth Carecchio
La scène
se déploie avec une grande nudité, au fond, des baraquements bleus tentent de
se faire oublier tandis qu’au premier plan, un homme seul, longiligne se tient
face à nous. A l’extrémité de la scène, un guitariste prend en charge la tache
de créer une délicate ambiance sonore pour ce qui va suivre. L’homme, c’est
Gregor, un fils ainé parti de chez lui, tenté de rentrer après le décès de ses
parents. Le rejoint une femme, une amie, une âme sœur, à qui il raconte. Dans
la semi pénombre, il raconte, il revient sur sa relation avec son frère et sa
sœur, restés au village près de leurs parents, pendant que lui, le brillant
ainé partait étudier à la grande ville et vivre sa vie. Une vie, on le comprend
sans qu’on nous le dise, d’écrivain.
Ce théâtre va
ainsi se raconter par de longs monologues. Le monologue de Gregor, interprété
par Laurent Sauvage, est une invitation poétique à
retourner avec lui. Un voyage peut-être sans retour, mais que son amie
l’encourage à entreprendre en ‘jouant le jeu’, en refusant d’être le seul
‘personnage principal’, lui conseillant simplement : ‘passe par les
villages’. Un voyage à travers un monde rural nordique, presque mythifié, où la
nature et la campagne, jadis quasi divinisées, ont perdu leur pouvoir
d’attraction du sens, face aux usines et à la vie moderne.
C’est ce que Gregor constate de
plein fouet, une fois de retour au village, où il cherche son frère Hans sur
son lieu de travail, un magnifique Stanislas Nordey. Dans ce deuxième tableau,
les baraquements sont alignés en arc de cercle, autour d’un centre où
l’accueille la ‘vieille de la baraque des ouvriers’ (excellente Annie Mercier
en chef de chœur de la misère ouvrière), comme elle se décrit elle-même, la
tenancière d’un chantier bien rude, où le frère de Gregor, a à la fois fait ses
preuves et risqué le licenciement. Quand celui-ci les rejoint, commence un ballet
entre deux hommes que tout oppose, le frère aîné exilé et fier de son succès,
et l’ouvrier humilié mais relié à sa terre d’origine. Entre les deux plane
rapidement l’ombre de la sœur, qui suite au décès de leurs parents espèrent
hypothéquer la maison familiale pour financer son propre commerce. Un rêve que
Gregor décrit, alors que Hans le soutien. La mélancolique cadette, forte et
délicate Emmanuelle Béart, va devenir le pôle autour duquel l’incompréhension
des deux frères peut s’électriser.
Pour apprécier ce
spectacle, il faut accepter qu’ici l’action, nouée autour d’un drame familial
et social passionnant, ne passera pourtant pas par le mouvement, le déplacement
des acteurs, mais d’abord par la parole. D’abord parce que le texte de Peter
Handke est un véritable chef d’œuvre dont on voudrait suspendre certaines
répliques pour les laisser résonner plus longuement. Ensuite parce qu’en
donnant au personnage de Gregor le rôle d’un écrivain, ‘Par les villages’ pose
la question de la capacité de toute classe sociale à se raconter elle-même.
Quand au cœur du
deuxième tableau, Hans-l’ouvrier prend la parole pour expliquer à son aîné son
contentement face à son sort de manœuvre, c’est toute la condition ouvrière
occidentale qui trouve un porte-voix dans un monologue d’une force évocatrice
et poétique inégalée, accusant le ‘vainqueur
cruel’ de, de surcroit, vouloir la honte des perdants, s’adressant à un
frère qui ‘voulait qu’on soit pareil à
lui’ et auquel il répond : mais ‘moi,
je suis satisfait d’être un ouvrier’ et ‘malheur à toi si tu oses décider qui nous sommes’. Car Hans se
demande : ‘quand l’homme à
l’écriture me rendra-t-il enfin mon droit ?’ La prestance et
l’intensité de Stanislas Nordey donne de ce morceau de bravoure littéraire une
interprétation charismatique. Rien que pour ce monologue, sa mise en scène de
‘Par les villages’ restera inoubliable.
Ainsi, par son discours, chaque ouvrier va reprendre le droit d’exister, avant le tour de la
sœur de la famille, Sophie : qui arrive dans un jeu de pénombre, pieds
nus, sans manteau, fragile. ‘Jadis,
j’étais amoureuse de toi’, affirme-t-elle à son frère aîné, ‘mais tu voulais me voir sans passion’,
alors l’amour cessa. Et à présent c’est la guerre qui réunit la fratrie.
Injuste, ingrat, ce frère revenu uniquement pour l’empêcher, maintenant
orpheline, de réaliser son seul rêve, celui de ne plus être employée. Ce frère
lui, ne veut que la protéger du vil commerce qui ne reviendrait qu’à ‘mettre
son nom sur une tombe’, ose-t-il avec emphase, au nom de sa haine de la
‘gabegie des affaires’, du ‘scandale permanent’ des affaires. Un dilemme, entre
liberté et dignité, dont il semble que l’auteur même ne sache plus comment départager.
Le dernier
tableau apportera les réponses. Dans une nature retrouvée, au milieu du
croisement des trois routes à quelques encablures de la frontière sud de leur
pays, c’est peut-être la plus vieille femme du village (superbe et profonde
Véronique Nordey) qui fera entendre à Gregor ce qu’il croit qu’il n’est pas
venu chercher : la paix et l’amour de cette nature en train de
disparaître. Ou peut-être l’amie de Gregor (juste Claire Ingrid Cottanceau) qui revient les délivrer de leur
entre-déchirement. Ces derniers monologues frôlent la pure philosophie. ‘La guerre’, dit l’amie, ‘faites-en votre dernier drame, entrez dans
le soleil, il aide’, car la nature est ‘la
seule promesse sûre’. Alors il faudra ‘aller
éternellement à la rencontre’ et ‘passer
par les villages’.
Une autre chose est sûre, c’est que Nordey a su trouver
pour cette mise en scène de Handke les acteurs qui donnent la juste voix à un
texte éblouissant.
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Par les villages
De Peter Handke | mise en scène Stanislas
Nordey | avec Emmanuelle Béart, Claire Ingrid
Cottanceau, Raoul Fernandez, Moanda Daddy Kamono, Olivier Mellano, Annie
Mercier, Stanislas Nordey, Véronique Nordey, Laurent Sauvage, Richard Sammut et
en alternance Zaccharie Dor, Cosmo Giros
Théâtre de la
Colline. Grand Théâtre du 05 novembre 2013 au 30 novembre 2013. Durée 3h30 environ (avec entracte). Du mardi au samedi à 19h30 (Attention horaires avancés) et le dimanche à
15h30.
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