06/12/2013

HRW sur l'Afrique et la France


Je partage l'éditorial de Human Rights Watch à quelques heures du Sommet de l'Elysée sur l'Afrique :

5 DÉCEMBRE 2013

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ort de son action militaire et diplomatique au Mali, François Hollande avait été le seul chef d’Etat occidental à être convié au sommet de l’Union africaine pour ses cinquante ans en mai dernier. Il en avait profité pour pousser son avantage diplomatique en invitant tous les pays africains à Paris fin 2013 pour un sommet sur la «paix et la sécurité», un thème sur lequel la France s’estime légitime au vu de son action au Mali. Ce «sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique» se tient les 6 et 7 décembre 2013 à Paris.
Le président français prolonge ainsi la tradition des sommets France-Afrique, même si la terminologie change. En mai dernier, lorsqu’il a été décidé, ce sommet devait se tenir sous co-présidence française et... égyptienne. Le président déchu Mohamed Morsi devait effectuer à cette occasion une visite officielle en France. Il n’en est évidemment plus question. La «paix» et la «sécurité» ne caractérisent pas franchement l’Egypte du général Sissi, sans compter que son pays est suspendu de l’Union africaine. Depuis, la France a élargi les thématiques du sommet au «climat» et au «développement économique», des thématiques moins conflictuelles pour la plupart des pays invités.
Mais avec l’actualité en Centrafrique, où les crimes se multiplient dans un chaos à peine descriptible, au Mali où la menace terroriste, qui a récemment emporté Ghislaine Dupont et Claude Verlon, persiste, en Libye où les milices refusent d’obéir au pouvoir central, c’est bien sûr le thème «paix et sécurité» qui retiendra l’attention des observateurs. Sans oublier la Côte d’Ivoire où la situation est loin d’être stabilisée et où les ressentiments sont encore très forts.
Des interventions pour protéger les civils
Dans les quatre pays cités, la France s’est placée en première ligne dans des situations et des cadres juridiques très différents, qui rendent peu pertinentes les accusations généralisatrices d’«interventionnisme militaire français en Afrique» mais qui n’empêchent pas de s’interroger sur l’efficacité de la stratégie poursuivie par notre pays.
En Côte d’Ivoire, les militaires français ont appuyé une mission onusienne puis participé à chasser du pouvoir Laurent Gbagbo qui avait été battu dans les urnes. En Libye, on peut s’interroger sur le fait que l’Otan, dont la France, a outrepassé son mandat onusien, mais on ne peut nier que les Libyens engagés dans leur révolution souhaitaient être protégés contre la violence brutale de leur «Guide». Au Mali, on peut regretter que la France ait dû intervenir précipitamment alors qu’une opération onusienne se préparait, mais il est probable que l’intervention a évité que les groupes islamistes et djihadistes imposent leurs lois abusives au-delà du nord du pays qu’ils contrôlaient alors. Enfin, en Centrafrique, la France, en appui aux forces africaines présentes dans le pays, reste à très court terme le seul pays en mesure de contribuer à l’arrêt des violences contre les civils.
Mais ces constats doivent s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la manière de garantir à moyen et long terme la paix et la stabilité. Celles-ci ne sont possibles qu’à la condition expresse que l’état de droit progresse et que les autorités politiques acceptent que la justice fasse son travail et assure une lutte impartiale contre l’impunité.
Le problème de l'impunité
Un poète jésuite uruguayen, Luis Pérez Aguirre, avait dit au sujet de la réconciliation dans son pays après la fin de la dictature militaire: «Je veux bien pardonner, mais je veux savoir à qui pardonner.»
Cette phrase est universelle. Sans enquête, sans justice, il est impossible pour les victimes ou leurs proches de tourner la page et de ne pas chercher vengeance. Sans justice, il est aussi impossible pour les autorités de rétablir l’état de droit. Enfin, pour les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, l’impunité les conforte dans leur stratégie de violence pour conquérir ou garder le pouvoir et entraîner ainsi leur pays dans un nouveau cycle mortel.
Si l’on accorde l’impunité à ceux qui sont impliqués dans les crimes d'hier, qu’est-ce qui les empêcherait de commettre d'autres actes de violence non seulement politiques, mais aussi économiques –extorsion et détournement de fonds– qui minent la stabilité et le développement économique de leurs pays?
C’est sur la mise en œuvre de justices transitionnelles que la France est, à notre sens, trop peu insistante, et trop peu en soutien des pays africains, comme le Malawi, le Sénégal ou le Botswana qui portent haut et fort le discours contre l’impunité, y compris celle des chefs d’Etat.
Au Mali, la réconciliation ne pourra se faire si seuls les islamistes sont poursuivis. Des membres de l’armée ainsi que des séparatistes touareg, qui ont travaillé avec la France lors de l'intervention, ont commis des crimes et devraient être activement poursuivis. En Libye, la France reste silencieuse tandis que Saïf al-Islam Kadhafi n’a toujours pas été remis à la Cour pénale internationale (CPI) alors que celle-ci exige son transfèrement. En Côte d’Ivoire, François Hollande n’a jamais parlé publiquement du fait que, depuis qu'Alassane Ouattara a été élu président, seuls des membres du camp Gbagbo ont été arrêtés et mis en examen pour des crimes commis pendant la crise postélectorale, alors que plusieurs de ses propres chefs militaires ont aussi été impliqués dans des atrocités.
L'indispensable justice
François Hollande et les chefs d’Etat africains attachés à la justice devraient profiter du sommet dit «de l’Elysée» pour afficher leur conviction en faveur de la justice et de l’état de droit. Tous devraient saluer la détermination du Sénégal à juger devant une cour africaine l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré.
De l’autre côté du continent, au Kenya, où de graves violences ont eu lieu en 2008, un récent sondage montre que 67% des Kényans souhaitent que leur président élu, Uhuru Kenyatta –un des acteurs clé de la crise de 2008–participe à son procès devant la CPI. A l’heure où, sous la pression du Kenya, du Rwanda et de l’Ouganda, l’Union africaine réclame que la CPI cesse ses poursuites contre le président et le vice-président kényans et tout autre chef d’état en exercice, il est essentiel que la France réaffirme son soutien à la justice, nationale et internationale, cette dernière n’étant appelée à agir qu’en cas de défaillance des justices nationales.
Une chose est certaine: tout discours prononcé lors de ce sommet en faveur de la justice sera bien accueilli par les victimes africaines et les citoyens. Plus largement, la France se doit d’afficher lors de ce sommet un soutien déterminé aux défenseurs des droits humains et aux sociétés civiles en Afrique.
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Jean-Marie FardeauDirecteur France de Human Rights Watch.
Vous pouvez le suivre sur Twitter@jmf60


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