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« TROIS SŒURS » FACE AUX PLEINS ET AUX VIDES DE LA VIE AU THÉÂTRE DE LA TEMPÊTE
19 novembre 2014 Par
Dans une mise en scène à la fois moderne, faisant appel largement à la vidéo, et fidèle à l’ambiance de Tchekhov, Claire Lasne-Darcueil donne joie et densité à ce texte de 1901 d’Anton Tchekhov à La Tempête. Une version hyper moderne et mélancolique de cette Russie à la fois si crûment réaliste et si universellement humaine. Laissez-vous emporter…
Les hommes ne sont pas vraiment là, premier constat. L’histoire de ces trois sœurs s’ouvre déjà sur le rappel de la mort de leur père. Olga, Macha et Irina se retrouvent ainsi livrées à elle-même. Elles ont bien leur frère, Andrei, mais il est ‘amoureux’ et il joue à se cacher… Face à cette ville de garnison dans laquelle leur père avait été envoyé comme général, qui ne les inspire plus, elles qui rêvent de retourner dans la capitale, Moscou, la ville de leur enfance, les trois sœurs vont devoir faire un plongeon dans la vie d’adulte, sans filet. Il y a bien, aussi, le mari de Macha, la cadette, mais Fedor le professeur est d’un tel ennui que personne ne lui prête d’attention. Le seul véritable homme qui arrive dans cette province récurrente qu’adore poser Anton Tchekhov, comme une métaphore de l’étroitesse de la vie quotidienne concrète par rapport aux désirs étouffés des personnages, c’est Alexandre Verchinine, ancien militaire auprès du père qui arrive dans la garnison, et se rappelle des trois sœurs, petites, lors de ses visites chez leur père à Moscou, et surtout de Macha… Le vieil ami médecin de la garnison préfèrera se noyer dans l’alcool, lui qui aima toute sa vie, en silence, la mère des trois filles. Même Nikolas, le baron, également militaire, fou amoureux de la belle Irina, ne parviendra pas à être tout à fait.
Mais c’est littéralement, dans la mise en scène de Claire Lasne-Darcueil que les hommes ne sont pas là. Ils ont été filmés. Leurs interactions, leurs échanges avec les trois sœurs apparaissent via un écran. En scène, seules passent, parlent, bougent ces trois jeunes femmes. Un choix radical qui imposera forcement un sentiment de destin dramatique. Comme souvent chez Tchekhov, les trois sœurs passent de peu près du bonheur.
Poétiques, pleines d’énergie, les trois comédiennes (Julie Denisse, Emmanuelle Wion, Anne Sée) portent intensément la pièce, avec finesse et intensité, joliment soutenues par le décor champêtre – printanier, automnal puis hivernal – posé par l’écran, avec lequel elles interagissent avec grâce. Face à la solitude d’une petite ville de garnison, que peuvent la beauté, le plein d’amour, et le désir de vie de ces trois jeunes femmes, trop éduquées, trop sensibles pour leurs voisins ? Peu de choses, mais cela sera tout. Alors qu’au premier acte, elles professent toutes leur confiance dans un déménagement à Moscou avec leur frère, tout ailleurs semble ici d’emblée bien loin… tout comme la possibilité du bonheur.
La vidéo, le cinéma dialoguent ici avec la scène, dans une collaboration avec Martin Verdet, qui permet à Claire Lasne-Darcueil de poursuivre de manière originale son aventure avec Anton Tchekhov entamée en 1995.
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