29/10/2014

CAUCASE, CRIMEE, AILLEURS

Peu de journalistes dans les rédactions cette semaine, les "vacances" mais aussi de nombreuses missions de terrain en sont responsables.

Par contre, l'actualité, elle bouillonne! Les combats se poursuivent en Syrie à la frontière turque, le Burkina Faso est en pleine ébullition face au projet du président Blaise Compaoré de modifier la Constitution pour se permettre un nouveau mandat, et élections majeures en Tunisie et en Ukraine dont les contrecoups sont loin d'être retombés.

Passionnées par toutes ces régions et leur histoire, mais travaillant depuis six ans spécifiquement sur l'Afrique, je veux partager aussi ici le travail brillant de confrères dans d'autres zones de notre monde.

Ici : Arménie / Azerbaïdjan, le Caucase donc, une région qui "a mon coeur" comme disent mes amis britanniques. Caucasus, you have my heart... Hope to see you again soon.

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Je conseille ce matin cet article du Monde :


Haut-Karabakh : dîner 

convivial mais peu 

fructueux à l’Elysée


LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 

Le président arménien Serge Sarkissian (au centre) et son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliev (à droite), le 27 octobre à l'Elysée.

Hier ennemis jurés, Serge Sarkissian, président de l’Arménie et Ilham Aliev, à la tête de l’Azerbaïdjan, sont soudainement devenus « copains ». Enfin presque. Tant que le sujet inextricable du Haut-Karabakh n’était pas évoqué, « ils étaient hyper proches », « complices », commente un diplomate français, encore étonné. « On les a vus se parler, se tutoyer… ». Le responsable de ce miracle ? François Hollande, peut-être. Reçus à l’Elysée, lundi 27 octobre, par le président français pour un sommet consacré au Haut-Karabakh, le chef de l’Etat a tenté de diversifier les sujets de discussions pour éviter de braquer MM. Sarkissian et Aliev sur le seul sujet de cette terre de conflit. « Ils se sont rendu compte qu’ils avaient des défis en communs, qu’ils affrontaient les mêmes enjeux », poursuit le diplomate.

Le Haut-Karabakh, c’est cette terre d’Azerbaïdjan, enclave séparatiste à majorité arménienne, aujourd’hui contrôlée par l’Arménie avec le soutien de la Russie. 

Le conflit (1988-1994), largement oublié, a fait près de 30 000 morts et de l’ordre de 800 000 déplacés. Depuis 1994, en dépit d’un fragile cessez-le-feu, l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont toujours techniquement en guerre. Pour éviter l’escalade, le groupe de Minsk, composé des représentants de la France, des Etats-Unis, de la Russie et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, formé en 1992, tente de jouer les modérateurs. Le Haut-Karabakh fait désormais partie de ces conflits dits « gelés », sur lesquels plane l’influence russe.

« CLIMAT MAUVAIS »


Mais depuis cet été, « le climat est mauvais », constate un diplomate français. Une ambiance de guerre de tranchées a repris et des dizaines de morts ont été recensées. En cause, notamment, la Crimée. Observer cette bande de terre, hier ukrainienne, repasser entre les mains russes, aurait échauffé les esprits.
Après sa visite en mai dans le Caucase, les conseillers de M. Hollande se réjouissaient du résultat obtenu lundi. « On a fait du bon boulot », assurait l’un des proches du président. Le « résultat », pourtant, est inexistant. Aucune issue au conflit déchirant l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’est perceptible, hormis la promesse de poursuivre le dialogue en septembre 2015, à New York.


Alors ? Si Paris se réjouit, c’est parce qu’il a permis aux deux présidents de se parler. Peut-être aussi d’avoir avancé sur le dossier de Leyla Yunus, cette militante des droits de l’homme détenue avec son mari en Azerbaïdjan pour des soupçons d’espionnage. « M. Aliev a pris des engagements »,indique une source proche du chef de l’Etat.
François Hollande et Ilham Aliev, le 27 octobre à l'Elysée.
Mais l’entourage du président se satisfait aussi d’avoir appuyé la position de la France dans ces terres sous influence de la Russie, tentées de se rapprocher de l’Europe. Le mot d’ordre : « Surtout, ne pas les obliger à choisir entre la Russie et l’UE », indique un diplomate. « Il ne s’agit pas de couper les relations avec la Russie. On ne veut pas tomber dans le piège ».
Une référence aux « maladresses » de l’Europe vis-à-vis de l’Ukraine ? Selon certains, c’est l’attitude de UE, incitant l’Ukraine à se rapprocher du Vieux Continent en signant un accord d’association, qui aurait courroucé Vladimir Poutine. La France, qui doit se décider à livrer, ou non, ses navires Mistral à la fin du mois, serait-elle soucieuse de ne pas fâcher Moscou ?

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Et surtout ce beau reportage du Monde en Crimée :

La Crimée à l’heure de 

Moscou

LE MONDE |  |Par 
A Sébastopol, dimanche 26 octobre.
Les hôtels de Simferopol sont pleins à craquer. En cette fin octobre, la capitale administrative de la Crimée est littéralement prise d’assaut, non par des touristes – la saison et le contexte ne s’y prêtent guère –, mais par des fonctionnaires russes. « Même en été nous n’avons pas autant d’affluence », ironise la gérante d’un petit établissement. Ces commis de l’Etat sont en mission, chargés de mettre aux normes de Moscou tous les secteurs-clés de l’administration : santé, éducation, sécurité, impôt, banque… Un recensement de la population a été lancé. Huit mois après l’annexion de la péninsule, la russification de la Crimée s’intensifie.

Tout va si vite. Le drapeau russe flotte sur les bâtiments officiels. Les opérateurs de téléphonie ont changé d’origine. Les uniformes sont les mêmes que partout ailleurs en Russie. Il n’a pas fallu plus d’un mois pour que la hryvnia, la monnaie ukrainienne, disparaisse de la circulation, remplacée par le rouble. Guère davantage pour commencer à distribuer les passeports russes et changer les plaques d’immatriculation des véhicules. A Sébastopol, les marchands de souvenirs sur le front de mer exhibent, à côté des maillots des marins de la flotte de la mer Noire, des tee-shirts d’un nouveau genre. « J’enc… vos sanctions »,proclame l’un d’eux, accompagné d’un dessin explicite de bonshommes stylisés russe et américain.

Il y en a beaucoup d’autres, à la gloire de Vladimir Poutine ou bien célébrant les « gens polis », en tenue de camouflage et armés jusqu’aux dentsCette expression, très prisée jusqu’à Moscou, est née ici, en Crimée. Elle désigne l’armée russe qui a pris possession de la péninsule en mars par la force – sans insignes et sans effusion de sang. Depuis, le nombre de ceux que l’on surnomme également les « petits hommes verts » comme l’on parlerait d’extraterrestres, a triplé.

LES LIENS AVEC LE PAYS D’HIER SONT COUPÉS

Voilà pour les signes extérieurs du changement. Mais, désormais, une nouvelle étape, plus profonde encore, s’est ouverte : la conversion de toutes les administrations, la mise aux normes de toutes les entreprises obligées de s’adapter à une nouvelle comptabilité. Prorusses ou non, les Criméens, désorientés, courent de notaires en services publics. « Pour nous, la vie quotidienne est devenue synonyme de files d’attente, il faut faire la queue pour tout : les naissances, la résidence, le permis de conduire… », raconte Maria, une jolie brune de 25 ans qui a perdu son emploi dans l’import-export d’huiles essentielles. Sa mère, Lena, enseignante de russe, a fini par trouver quelques élèves, recrutés par Skype. « Je travaillais à l’université, mais maintenant je ne peux plus, avec un permis de séjour. »
La famille, qui préfère rester anonyme, refuse de prendre la nationalité russe. Seul le grand-père s’y est résigné « pour au moins sauver la maison ». Corvées pour les uns, ces démarches sont devenues, pour d’autres, ukrainiens ou tatars, la minorité musulmane traumatisée par sa déportation en 1944 sous Staline, une véritable source d’angoisse.
« Les gens essaient encore de comprendre ce qui se passe », dit doucement Mark Boutovski, un jeune chef d’entreprise de 24 ans, spécialisé dans la publicité sur Internet. « C’est l’argent le plus compliqué, chaque fois que j’achète quelque chose, je me demande si c’est plus cher. Pour moi, cela a été relativement simple comparé aux petits entrepreneurs qui importaient tout de l’Ukraine, des tomates aux manteaux. » Les grandes compagnies russes sont arrivées mais, pour échapper aux sanctions internationales, elles prennent un nouveau visage, un nouveau nom, sans lien juridique apparent. Petit à petit, les liens avec le pays d’hier, l’Ukraine, sont coupés. La télévision de Kiev ne parvient plus jusqu’ici, pas plus que la radio. Dans les établissements scolaires, les cours en langue ukrainienne déjà peu répandue, ont été réduits de moitié, malgré les déclarations des nouvelles autorités sur l’instauration de « trois langues officielles », russe, ukrainienne et tatare.

« JE ME SENS NI RUSSE NI UKRAINIEN »


« Je suis né ici, je travaille ici, mais je me sens ni russe ni ukrainien, soupire Mark Boutovski. J’aimerais me sentir européen, mais la réalité autour de moi m’oblige à un autre mode de vie. Il faut le reconnaître. » Russophone, la majorité de la population qui a voté oui au référendum du 16 mars soutient en effet la Russie et son président, Vladimir Poutine. Les autres se considèrent en « territoire occupé ».

« Tout ça, c’est la faute de Gorbatchev », fulmine Georgui Nossän, campé dans un champ pour surveiller ses vaches, à mi-chemin entre Simferopol et Sébastopol. Ce vieux paysan russe poursuit encore de sa rancune le dernier chef d’Etat de l’URSS, coupable de sa disparition. « Regardez maintenant, c’est une honte ce qui se passe en Ukraine ! » Les retraites, tout comme les salaires, ont été augmentées, sauf que Georgui ne s’en rend pas bien compte, perdu dans ses conversions et l’augmentation des prix. Mais il est content du retour de la Crimée dans le giron de la Russie et, chaque fois que des avions russes passent au-dessus de sa tête, il ne manque pas d’agiter son bonnet en criant : « Bonjour à Poutine ! »
« Cela fait vingt ans que nous en parlions et que nous attendions ce moment », jubile le nouvel homme fort de la péninsule, Sergueï Aksionov. Natif de Moldavie, arrivé ici en 1989, cet ancien « businessman dans l’immobilier » de 41 ans, député devenu le président du conseil des ministres de Crimée, vante un retour « à la tranquillité ». Il refuse cependant de recevoir dans son bureau et ne se déplace pas dans une salle toute proche sans un garde du corps maussade tout de noir vêtu. « Des milliards de roubles vont être versés par le budget fédéral, dont 23 milliards [426 millions d’euros] rien que pour Simferopol cette année. Tout est calme, tout le monde est content », lance-t-il. Les milices ? « Des patriotes, corrige sèchement Sergueï Aksionov, qui deviendront une police municipale légale et sans armes le 1er janvier. »

D’ici là, le ménage sera fait. « Il y a deux semaines, tous les chefs de la compagnie du pétrole et du gaz ont été licenciés, tous les chefs d’hôpitaux aussi. Avant-hier, c’était les responsables de la compagnie des eaux, en fait 90 % des dirigeants des organisations centrales », annonce-t-il sans ciller. Au nom de la lutte anticorruption, mais sans passer par la case tribunal. « Ils ont rédigé leur lettre de démission eux-mêmes. »

ENJEU AUTOUR DE YALTA


Andreï Kiskov, 31 ans, l’un des rares militants des droits de l’homme sur place, ne partage pas tout à fait ce point de vue. Dans le secteur privé, raconte le jeune homme, « ils nationalisent de force des stations-service, des usines, des marchés qui appartenaient à des Ukrainiens avec le concours de gens armés et en civil, des organisations paramilitaires hors de toute légalité »« Une loi, poursuit-il, impose aussi le rachat d’entreprises jugées stratégiques, comme les ateliers de cinéma de Yalta. Pourquoi ? Personne ne le sait. »
Yalta – la station balnéaire au bord de la mer Noire, célèbre pour avoir abrité, en février 1945, la conférence qui a réuni Staline, Roosevelt et Churchill, et dans laquelle a commencé à se dessiner le visage de l’Europe de l’après-guerre – est redevenue un enjeu. 

Les 30 hectares des ateliers du cinéma, créés avant la révolution russe de 1917, ont bien changé de mains, sous la contrainte. Motif : le propriétaire « ne remplissait pas ses obligations en matière d’investissements », assure le maire, Andreï Rostenko, nommé il y a deux mois. Ici aussi, l’administration russe est à pied d’œuvre. La fonction publique est réorganisée de fond en comble, le personnel renouvelé et le nombre d’élus ramené de 280 à… 28. « En six mois, nous avons reçu plus de subventions qu’en vingt ans d’Ukraine, plastronne Andreï Rostenko. Et si cela ne se voit pas, c’est parce que nous avons commencé par les télécommunications. »

Par refus ou par crainte, cependant, 20 % des habitants de Yalta n’ont pas répondu aux enquêteurs du recensement. Illona et Sehrii Dorochenko, 30 ans et 42 ans, se disent pour leur part « ukrainiens, par réaction ». Le couple, comme beaucoup, a autant de famille et d’ascendants en Russie qu’en Ukraine, mais l’annexion de la Crimée l’a choqué. « Le 27 février, nous nous sommes réveillés avec les petits hommes verts. » Depuis, Illona a entrepris d’écrire les Chroniques de la Crimée russe sur Facebook où elle décrit tout, le prix du poisson qui a augmenté, « la pseudo-frontière » avec l’Ukraine, les « babouchkas » que l’on fait venir de Russie en vacances pour remplacer les touristes disparus…
Elle prend garde toutefois à ne pas franchir des lignes rouges. Entrée en vigueur en mai, la loi fédérale russe qui qualifie « d’extrémisme » toute atteinte à « l’intégrité de la Russie » effraie plus d’un Criméen.

 Isabelle Mandraud (Simferopol, Sébastopol, Yalta, envoyée spéciale) 
Correspondante à Moscou

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Enfin ce portfolio à ne pas manquer :

Crimée : portrait d'une

 nouvelle région russe


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